L’institution dans tous ses états - Roman, suivi d’un échange avec Fernand Deligny

Jean-François GOMEZ, érès, 1996, 122p.

La critique d’un précédent ouvrage de Jean-François Gomez m’avait valu une volée de bois vert de lecteurs outragés de la façon dont j’avais éreinté l’auteur. C’était en quelque sorte la version moderne de l’arroseur arrosé, Jean-François Gomez étant dans l’affaire le moins virulent. Ce dernier a accompagné l’exemplaire du dernier ouvrage qu’il m’a adressé d’un petit mot plein d’esprit « Prenez de l’élan. En avant, et sabre au clair ! ».

Donc attention les yeux, comment réagir ? Dois-je me faire obligeant ou foncer dans le tas? J’ai plutôt envie de faire comme d’hab en proposant mon ressenti, dussai-je déplaire.

Je vais commencer par donner dans le sacrilège. La fin de l’ouvrage est suivie de la réédition d’un échange d’article parus dans les « Cahiers de l’Aire » en 1972 entre l’auteur et Fernand Deligny. Eh bien, si le premier est compréhensible, j’avoue n’avoir pas compris grand chose au message du second. Quoi ? Ce blanc-bec de critique qui tétait encore sa mère, alors qu’officiaient les grands anciens, qui ose affirmer de pas comprendre le message de Deligny ? Cela mérite pour le moins le bûcher ! Attention à l’avalanche de fax et de lettres au siège de Liens Social pour réclamer son excommunication. Eh bien oui, j’ai osé.

Sérieusement, revenons à Jean-François Gomez qui nous propose une forme littéraire assez peu usité dans le secteur: le roman. S’y trouve mis en scène une institution pour enfants fous. Les premières pages s’avèrent prometteuses. Dans un style riche et percutant, l’auteur y dresse le portrait de personnages hauts en couleur et si familiers. C’est la responsable éducative, si proche des gamins et remarquable pour son « aisance à vivre les questions des autres, leur détresse, leur manque ». Puis, vient l’enfant-fugueur, véritable pivot du livre, que la société a désigné comme « in-capable, in-adapté, in-valide ». C’est aussi, ce Directeur de DDASS qui menace l’institution « privée » d’être effectivement privée de subventions si l’enfant n’est pas très vite retrouvé. C’est encore ce Président de Conseil d’Administration qui s’inquiète du manque à gagner que représentent les journées de fugue (synonyme de suppression du prix de journée). En quelque sorte, une galerie d’acteurs qu’on rencontre si souvent dans notre quotidien.

Mais, c’était trop bien parti. S’ensuivent des scènes obscures comme celle longuement développée d’un Cheik qui intervient comme conteur au sein de l’institution et dont le récit suffirait à faire fuir l’enfant le plus psychotique qui soit mais que la magie de la littérature met en situation de fasciner son public. Ou encore, les états d’âme existentiels de professionnels dont on du mal à suivre les circonvolutions.

Mais me voilà surpris en flagrant délit d’anti-Gomez primaire. On m’a pourtant expliqué que si je ne le trouvais pas bon, il vallait mieux que je me taise !

En réalité, les fidèles de Jean-François Gomez trouveront un nouvel écrit digne des précédents. Ceux qui n’ont pas aimé ses autres ouvrages pourront s’abstenir. Quant aux candides, rien ne remplacera leur propre jugement, tant il est vrai qu’en la matière rien n’est plus subjectif qu’un goût littéraire.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°383 ■ 30/01/1997