Elaborer son projet d’établissement - Pratiques professionnelles, outils méthodologiques, projets personnalisés

Jean René LOUBAT, Dunod, 1997, 262 p.

Quand le manuscrit de Jean-René Loubat m’est parvenu, son intitulé ne m’a guère séduit. J’ai eu peur d’avoir à m’avaler 262 pages plus ou moins indigestes. Ce n’est qu’après plusieurs jours à me faire narguer par ce paquet de feuilles empilées sur le bord de mon bureau que je me suis décidé à y regarder de plus près. Et puis là, surprise :  les pages ont commencé à défiler devant mes yeux, sans que je me rende compte que j’étais en train d’avancer hardiment et sans peine ni le moindre ennui. Seules l’heure avancée de la soirée et la perspective de la journée de travail du lendemain m’empêchèrent alors de finir tout d’une traite. Qu’est-ce qui avait donc provoqué cette lecture si prenante ? C’est, je pense, l’habileté avec laquelle alternent des considérations d’ordre socio-éducatif, les outils méthodologiques exposés d’une manière précise et détaillée et les exemples concrets puisés dans la pratique d’un auteur qui possède manifestement une grande expérience des consultations au sein d’établissements de toutes sortes.

Ce qui traverse l’ouvrage de part en part, c’est l’éloge du “ projet ”, ce changement qui permet de transformer l’environnement en concevant un avenir écrit nulle part. Et c’est bien une marque essentielle d’humanisation que cette aptitude à s’extraire par la conscience de la routine comportementale.  La notion de projet  comporte toutefois dans le secteur social une résonance particulière. C’est d’abord lié  aux annexes XXIV qui en rendent la production obligatoire pour chaque établissement. Mais, pour comprendre son impact, il faut aussi faire référence aux profondes modifications socioculturelles récentes. Pendant longtemps, le travail social a cultivé des conceptions qui, d’origine judéo-chrétienne ou laïque,  se rejoignaient dans la même récusation des valeurs et technologies de l’entreprise. Les institutions fonctionnaient alors bien plus sur un mode paternaliste ou communautaire qui les faisaient ressembler parfois à un phalanstère fouriériste ou à un couvent. Le choc lié au triomphe du modèle libéral s’est accompagné d’une montée massive de l’exclusion et de l’individualisme, ainsi que de restrictions budgétaires et du retrait de l’Etat, avec pour conséquence une exigence de lisibilité de l’utilité sociale. Fonctionner selon une logique entrepreneuriale avec un projet et des modalités d’évaluation est progressivement devenu incontournable. Mais, au-delà du seul moyen de contrôle administratif, ce dispositif peut aussi être une chance donnée aux professionnels de revisiter leur fonctionnement et d’améliorer le service rendu  aux usagers. C’est ce que nous décrit Jean-René Loubat quand il nous liste ce que doit comporter un projet d’établissement : la mission poursuivie (= commande sociale), le service rendu (entre le prestataire et le bénéficiaire), l’environnement (réseau relationnel dans lequel s’inscrit l’institution), la méthodologie générale de son intervention, la nature et l’adéquation des moyens adoptés, et enfin  ses modes d’évaluation, ses types de communication, son mode d’organisation ainsi que la répartition de ses coûts. Un tel projet ne peut sortir du formalisme qu’à la condition d’avoir été élaboré avec l’ensemble du personnel sur un temps suffisamment long pour permettre sa production et on intégration par chacun. Mais une fois conçu, encore faut-il qu’il puisse se décliner conformément aux particularités de chaque usager. C’est là où intervient la notion de “ projet personnalisé ”.  On est progressivement passé d’une logique de “ réparation ” d’un usager “ malade ” à sa “ promotion ” en vue de répondre à ses problèmes d’“ insertion ”. Il s’agit alors de construire une orientation s’appuyant sur les éléments positifs que constituent ses potentialités, ce qui fonctionne chez lui et peut être sollicité et non plus seulement sur ses échecs et sur ses problèmes. Si l’individu reste essentiel dans le projet qui est ainsi construit pour lui, il ne peut continuer à être interpellé en dehors de son environnement. Le milieu familial a gagné depuis quelques années une place de partenaire (grâce aux annexes XXIV). Cette place se heurte toutefois encore à de nombreux professionnels qui se font les héritiers du processus historique de disqualification familiale. L’usager ne peut que gagner à sortir de cette double contrainte qui l’écartèle entre les injonctions parfois contradictoires que lui adressent les professionnels d’un côté et sa famille de l’autre. L’adéquation de l’action engagée ne pourra être établie que par une évaluation qui déclenche là aussi de fortes résistances chez les travailleurs sociaux. Nous savons que les propriétés de l’objet sont inaccessibles à l’observateur qui peut seul mesurer l’interaction à l’égard  de ce qu’il observe. Nous savons aussi que nous ne pouvons calculer que les écarts d’évolution et de progression et que cette mesure est arbitraire dans le choix du facteur sélectionné. Pour autant, des critères peuvent toujours être élaborés, et il relève de la responsabilité des professionnels d’en faire d’authentiques outils de promotion et de valorisation des services.

A partir de ces fondements brillamment exposés, l’auteur nous propose de nombreux outils méthodologiques qui viennent illustrer sa démonstration et qui ne manqueront pas d’inspirer tous ceux qui souhaitent initier la démarche de projet.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°419  ■ 20/11/1997