Le rire du travailleur social. Pratiques de l’humour. Humour de la pratique

MOREL Didier (coordination), Le Sociographe n°33 ; septembre 2010, 128 p.

L’exercice du métier de travailleur social exige de ne pas tout prendre au sérieux, ni au pied de la lettre. Aussi, la question qui traverse le numéro 33 du Sociographe n’est-elle pas « y a-t-il une place pour l’humour dans le travail social ? », mais bien plutôt : « peut-on concevoir une approche relationnelle, sans humour ? ». Encore faut-il savoir de quel rire on parle, tant celui-ci peut être autant salvateur que destructeur. Si l’humour est finesse et esprit, il n’en va pas de même du persiflage, suspect dès lors qu’il touche des valeurs éthiques ou se manifeste au détriment d’autrui. L’ironie, tout comme la moquerie, la dérision ou la raillerie cherchent plus à attaquer l’autre, en l’humiliant ou en le soumettant. Même s’il s’agit, le plus souvent, de s’en prendre aux plus forts ou aux puissants, bien plus qu’aux faibles, cette manière de rire cherche à remplacer l’épée par des mots au tranchant acéré. Non, décidément, l’humour tend moins à rire de l’autre que de rire avec lui, des incongruités de la condition humaine ou de la cocasserie des situations rencontrées. Certains professionnels n’osent pas s’y risquer ou se refusent de le pratiquer, par crainte de perdre leur crédibilité et leur légitimité. Dans la relation d’aide, ses fonctions sont pourtant multiples : détendre l’atmosphère, dédramatiser et relativiser les évènements, favoriser l’alliance et la rencontre avec l’autre, transmettre un message d’une manière décalée, désamorcer l’agressivité… Il aide tout particulièrement à dépasser cette sidération qui interdit de rêver, fixant le sujet sur la pure réalité traumatique. Parce qu’il permet de prendre de la distance à l’égard tant de l’agir que de la potentialité du passage à l’acte, parce qu’il accompagne cette conquête du fantasme, du symbole et du jeu avec la réalité, parce qu’il apporte de l’air à la relation, l’humour constitue à la fois une hygiène, un acte thérapeutique et un facteur de résilience. Mais, les effets ne sont pas que psychologiques. Ils sont aussi physiologiques : il fait baisser la pression sanguine et favorise l’oxygénation générale de l’organisme, mobilisant les hormones qui influencent directement le stress et réduisant les réactions inflammatoires. Pour autant, le rire ne se monnaye pas, il est un don de soi. Il ne s’apprend, il se vit, tant il touche à l’intime et au plus profond de soi, le summum de l’humour étant bien dans cette autodérision qui consiste à rire de soi avec les autres ! En un mot comme en cent, qu’il soit subversif, corrosif, trait de caractère ou trait d’esprit, le rire apparaît une nécessité vitale dans nos professions.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1015 ■ 21/04/2011