Manuel critique de travail social

KELLER Véréna, Ed. E.E.S.P., 2016, 210 p.

Pour être focalisé sur la spécificité de l’action sociale en Suisse, ce manuel n’en laboure pas moins les valeurs universelles de la profession. Car, si nos cousins helvètes fonctionnent sur des modalités différentes des nôtres, fondées sur le fédéralisme (et la large autonomie juridique cantonale) et la subsidiarité (c’est la plus petite unité administrative qui est investie des plus grandes responsabilités), la logique néo-libérale occasionne ici comme ailleurs les mêmes dégâts. Le travail social s’est toujours abreuvé à deux mamelles : normaliser les groupes déviants, administrer les inégalités, gouverner la pauvreté d’un côté, et, de l’autre, développer le pouvoir d’agir des usagers, faire reculer les inégalités, promouvoir la justice sociale et les droits humains. Renouant avec les antiennes traditionnelles reprochant à la solidarité d’encourager l’oisiveté et l’assistanat, le new management a conçu nombre d’outils pour essayer d’y remédier : tableaux de bord, d’indicateurs de performance, de protocoles de démarche qualité, de certifications, d’audits, d’individualisation des trajectoires … sensés objectiver l’efficacité et la pertinence de l’intervention. Filtrage, écrémage, ciblage des usagers sont alors mis en œuvre pour tenter de réduire les coûts d’un État providence qui nuirait à la compétitivité. Certes, la pratique des travailleurs sociaux est insaisissable et leur activité incertaine. Mais, en même temps, cette indicibilité constitue un frein à la légitimation de leur action quotidienne. Et l’auteur de valoriser la rencontre singulière qui en est le cœur, à condition toutefois que celle-ci ne vienne pas faire oublier ni les rapports de pouvoir, de contrôle et d’autorité qu’elle induit, ni l’aide matérielle et financière qu’elle dispense, ni la technicité qu’elle nécessite.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1209 ■ 08/06/2017