Affaires sociales, questions intimes

KARSZ Saül, Ed. Dunod, 2017, 296 p. 

Saül Karsz nous a habitués, livre après livre, à déconstruire les évidences et à manier la dialectique avec maestria. Son dernier ouvrage nous propose un vrai feu d’artifice, décomposant et contextualisant huit catégories trop souvent dogmatisées et essentialisées : présentées comme naturelles elles agiraient comme en lévitation. La vieillesse ? Si elle est bien marquée par des données biologiques, anatomiques et psychiques, elle est avant tout une construction historique au sein de rapports sociaux déterminés. Ce qui compte, ce n’est pas tant l’âge, que ce dont il est investi. Les victimes ? Elles n’existent pas en dehors des significations qui les désignent comme telles. Il ne suffit pas d’avoir subi des traumatismes pour être victimisé, encore faut-il en posséder les attributs officiels. La folie ? Elle suppose des individus qui se considèrent comme définitivement et intégralement sains d’esprit, atteints du syndrome de normose ou de normopathie avancée. La folie est étiquetée à partir d’un certain savoir médical et psychiatrique qui diffère selon les époques et les appartenances socioculturelles. Repérer et traiter les disconformités interprétés comme troubles à évincer n’est légitime que si, dans le même temps, on interroge le fonctionnement qui prétend posséder suffisamment, voire démesurément l’entendement. Le suicide ? En chercher les raisons, c’est supposer qu’il existerait des conduites ontologiquement appropriées et d’autres pas. Mieux vaut en expliciter les causes en imaginant des scénarios plutôt que des typologies. La santé ? Les humains ne s’en sont pas toujours préoccupés. Ce qui est en jeu, c’est ce qui à un moment donné est considéré comme légitimement souhaitable, occasionnellement tolérable et radicalement insupportable. Ce n’est pas la santé que l’on promeut, mais certaines de ses modalités socio-historiques. Le projet ? Il a pour fonction d’atteindre des objectifs. Or, les ratés, les torsions, les dérives des buts visés ne sont pas des inconséquences, des incidents techniques ou des aléas conjoncturels mais plutôt des paramètres intrinsèques et des composantes incontournables de toute action qui ne veut pas se scléroser. L’innovation ? Elle n’est en soi ni négative, ni positive, recelant à la fois l’illusion de la maîtrise et l’ambition d’une subversion du présent. En explorant toutes ces dimensions tant explicites qu’implicites, Saül Karsz nous invite à un pas de côté : il n’y a pas d’écoute de la réalité sans table d’écoute, sans protocole de décodage, de mise en sens, de diagnostic et d’interprétation. En avoir conscience est nécessaire et salutaire. 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1231 ■ 17/05/2018