Pratiques d’orientation clinique en travail social

PONNOU Sébastien et NIEWIADOMSKY Christophe (sous la direction), Éd. L’Harmattan, 2020, 300 p.

A pratique basée sur des données probantes, qui nous vient du monde anglosaxon, a pour ambition de pas­ser en revue la littérature spécialisée pour identifier les thérapeutiques les plus ajus­tées à une pathologie donnée. La tenta­tion d’appliquer cette méthode au travail social colle aux valeurs de performance et de réussite qui visent à sa rentabilisa­tion et à la baisse de ses coûts. Une telle démarche est aux antipodes de la polysé­mie qui caractérise tant la diversité de ses publics que de ses acteurs, de ses institu­tions que des prismes théoriques et axio­logiques qui le traversent. Le travail social fonde son évaluation sur des éléments com­plexes et variables qui s’appliquent dans l’entrelacement singulier du sujet et du social. Il se heurte à un possible qui ne se précise qu’au fil de l’action. La quanti­fication des réussites d’une approche ne garantit nullement sa validité. Il promeut surtout l’élaboration de protocoles s’im­posant au professionnel appelé à se trans­former en contrôleur social exécutant des programmes standardisés et normalisés. Il devrait alors renoncer à l’imprévisibilité, au flou et à l’ambiguïté de l’interaction ; à ce regard, cette présence et cet intérêt pour la singularité des situations accompagnées ; à cette rencontre vraie et cet engagement faits d’observation, de compréhension et de confrontation des hypothèses qui ne sont jamais aussi fertiles que lorsqu’elles sont mises à l’épreuve dans leur confrontation au réel. Non, là il suffirait d’appliquer des méthodes statistiquement vérifiées pour être efficace. Affronter l’obscure densité de l’énigme que constitue l’autre par la pré­sence, le lien et le partage ne serait plus nécessaire, le mystère de l’usager étant « scientifiquement » percé à jour. Pourtant, agir c’est hésiter en permanence, puis tran­siger entre des orientations hétérogènes ; arbitrer entre des logiques peu ou pas com­patibles ; articuler des savoirs profession­nels, expérientiels et académiques sans pouvoir les hiérarchiser. De tels compro­mis sont toujours provisoires. La culture de la preuve s’oppose à la mise en question permanente, au doute systématique, au questionnement ininterrompu des normes et des certitudes, seules valeurs permet­tant de voir ce qui ne se voit pas et d’en­tendre ce qui ne s’entend pas. Et c’est tout cela qui constitue les pratiques d’orienta­tion clinique.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1293 ■ 13/04/2021