Le labyrinthe des légumes

Dominique DELPIROUX, édition L’écailler du sud, 2006, 298 p.

Un polar chez les neu neu ! Le roman de Dominique Delpiroux est tout à fait passionnant. On y fait la connaissance d’Ariane qui sert de fil tout au long du récit. Cette jeune femme entre comme assistante médico-pédagogique dans une maison d’accueil spécialisée. Elle y rencontre des personnes souffrant d’un handicap profond de naissance ou du fait d’un accident de la vie. Au début, l’idée d’un zoo rempli d’étranges créatures lui effleure l’esprit. Monsieur Fragny ? Une trogne débordante d’incisives au bout d’un corps immense, plein d’os hirsutes et de poils saillants. Madame Mouthouze ? Un monument de chair affalé sur son lit. De la viande qui déborde de tous les côtés de la nuisette : 180 kilos au bas mot. Monsieur Antoine ? Un tronc difforme et très velu, une bouche qui se tord pour prononcer des borborygmes. Des monstres ? Non des personnes à part entière qu’on vouvoie, qu’on appelle de leur nom précédé de Monsieur ou Madame et qu’on baigne, qu’on soigne, qu’on nourrit.  Au milieu de dette population hétéroclite, Monsieur Trézène, professeur d’histoire qu’Ariane a eu quand elle était au collège. Victime d’un mystérieux accident, l’enseignant a miraculeusement survécu, mais est resté prostré depuis dix ans. La jeune femme est à la fois attristée et heureuse de le revoir dans cet état. Contrariée parce qu’elle l’aimait bien ce prof qui, pour tout dire, était son préféré. Contente finalement que ce soit elle qui soit là pour s’occuper de lui, maintenant qu’il est dans cet état ! Elle en a essayé des métiers, Ariane : un stage en supermarché où elle a du subir les algarades racistes de son chef, une formation en informatique qu’elle n’a pu terminer, son formateur lui ayant dit que ce n’était pas pour elle, les six mois de travail dans une usine à mettre du kraft sur six cent cartons par jour … C’est fini, c’est si loin. La page est tournée. Aujourd’hui, la maison d’accueil est devenue sa famille. Elle les aime ces résidents. Ni la morve, ni le vomi, ni le sang, ni la merde ne la dérangent plus. Pas un seul jour, elle n’a franchi avec regret la porte de l’établissement. Quand elle a pris une semaine de vacances, au bout de quelques jours, les pensionnaires lui manquaient déjà. Voilà le cadre posé. La prise en charge de ces adultes par des professionnels plein d’humanité fleure néanmoins la routine. C’est le dernier endroit où l’on pourrait imaginer voire se dérouler la plus improbable et la plus extraordinaire des intrigues. Pourtant, ce Monsieur Trézène, que l’on croyait à jamais éteint, va se réveiller. Il sort de sa torpeur en ayant l’impression d’habiter une immense carapace, sans réussir toujours à en commander les gestes. Sans manifester à aucun moment à ses soignants sa renaissance, il va élaborer un plan particulièrement ingénieux et machiavélique pour se venger de ceux qui sont responsables de son état. Ne compter pas sur nous pour vous en dire plus. Tout juste pouvons-nous révéler que le suspense est haletant et captivant jusqu’à la dernière page.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°798 ■ 25/05/2006