Les mots délivrés - le psychiatre d’enfant à l’écoute des abus sexuels

Docteur Dominique FREMY et Odile NAUDIN, Stock, 2002, 184 p.

La souffrance de l’enfant a tant bousculé l’univers des adultes que l’indicible s’est longtemps heurté à l’inaudible, nous explique dans la préface Ségolène Royale. Il a fallu l’union de convictions très fortes et de profondes volontés d’agir pour progressivement libérer la parole de l’enfant et mettre fin à la surdité des adultes. Et le travail réalisé par Dominique Frémy dans le centre de thérapie familiale qu'elle a créé en 1993 y a apporté sa part. « Croire les enfants est la pierre angulaire de toute ma pratique auprès d’eux » explique-t-elle, d’emblée. Cela définit avant tout, une attitude d’écoute, d’empathie et d’attention à ce que l’enfant accepte de livrer pour le rendre audible. Tout le travail consiste à offrir une prise en compte qui soit dégagée de la pression des familles ou de l’entourage et qui se montre insensible aux intérêts de toutes sortes qui brident les confidences. Bien sûr, il peut arriver que l’horreur des situations fascine, paralyse, obscurcissant la réflexion et les capacités d’initiative. Mais le travail de restauration est essentiel : tant que l’abus sexuel reste enchâssé dans la vie d’une personne, il joue le rôle d’un prisme qui déforme sa vision de l’existence et paralyse ses capacités de jugement et de décision. Il en va ainsi notamment des risques de reproduction intergénérationnelle : « lorsqu’ils sont convenablement aidés, les enfants ont la merveilleuse capacité de saisir ce qu’on leur offre, de donner à leur vie un autre mouvement, de s’écarter des répétitions mortifères » (p.178). Sortir des secrets et de la honte permet, en effet, à toutes les victimes la possibilité de retrouver un espace personnel pour vivre et faire des projets. Statistiquement, deux filles sont agressées pour un garçon. Notre société, explique encore l’auteur, s’appuie bien trop encore sur les valeurs de la virilité, de la domination, qui sont peu favorables à l’expression d’une vulnérabilité. Beaucoup de garçons n’osent pas confier ce dont ils ont été victimes et  préfèrent s’identifier à la norme dominante en développant à leur tour, le même penchant pour la violence et la transgression. A travers les récits de situations vécues de pédopsychiatre accueillant des enfants victimes ou des auteurs d’abus, Dominique Frémy nous fait vivre la souffrance d’un Samuel agresseur et agressé dès l’école maternelle, d’une Elise adolescente victime d’une « tournante » ou d’Aline, 7 ans, agressée par son cousin de 10 ans (29  % des viols sur mineurs sont le fait d’agresseurs eux-mêmes, mineurs). « Les enfants ne mentent pas quand ils font savoir qu’ils ont peur, qu’ils ont mal » (p.175) Le monde adulte doit se montrer digne de la confiance que lui fait une enfant quand il lui révèle ses souffrances.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°628 ■ 04/07/2002