J’avais douze ans

Nathalie SCHWEIGHOFFER, Fixot, 1990, 266 p.

Pourtant, elle l'aimait, elle l'admirait ce père en qui elle avait tant confiance. Et puis voilà qu'à l'âge de 12 ans, il la réveille en pleine nuit. Il s'assoit sur son lit, lui caressant les cheveux et lui parlant de choses qu'elle ne comprend pas. Le lendemain, il revient, puis le surlendemain. Rien n'y fait : supplications, protestations, pleurs. Un père doit se faire obéir. Il est d'ailleurs normal qu'il initie la sexualité de sa fille. Et puis si elle l'aime, elle doit lui faire plaisir !

C'est alors le basculement dans l'horreur. Les règles de la famille sont strictes : les enfants doivent se coucher à 20 h 30. Maman, elle, prend un somnifère chaque soir. La nuit appartient à papa, habitué à veiller très tard. Le premier viol aura lieu dans la salle de bain. Puis tout au long des années, 2, 3, voire 4 fois par semaine, sous prétexte de soirées passées à faire de la comptabilité pour l'aider dans sa petite affaire, Nathalie va être abusée par son père. Il ne faut pas qu'elle proteste, il faut même qu'elle affirme qu'elle y prend du plaisir. Papa de toute façon sait l'en convaincre à coups de ceinture.

C'est d'abord un grenier, puis un garage qui sont aménagés et insonorisés -officiellement en bureau- en fait comme prison-salle de torture. Ce n'est qu'au bout de 4 longues années qu'en pleine crise de divorce, la vérité éclatera, menant le père en prison. La lecture de cet ouvrage est incontournable.

Incontournable si l'on veut comprendre l'ignominie du calvaire d'une enfant qui passe successivement par le désespoir, la culpabilité et la honte. Le père jugé et condamné reste toujours présent dans sa tête. Il a tué l'enfant qu'elle était et la femme qu'elle devait être.

Incontournable, ce témoignage l'est si l'on veut comprendre la détresse d'une victime de l'inceste. Nathalie s'est enfermée dans le mutisme. Comment s'en étonner? Soumise à l'autorité de son père, paralysée par sa violence, persuadée que sa parole n'aurait aucune valeur ni crédibilité si elle révélait quoi que ce soit, elle a subi son enfer en silence. Ses tentatives pour s'en sortir ont échoué.

Chercher un refuge à l'hôpital en passant sous un camion ou en avalant une boîte de médicaments... ça ne marche pas. Fumer, se maquiller, avoir un petit ami, faire tout ce que sont père réprouve, pour se faire rejeter de la maison... en vain.

Incontournable enfin, ce témoignage l'est pour nous adultes qui professionnellement ou non sommes confrontés à ces situations dramatiques. Ici pas d'évaluation psychologique ni de démonstration statistique. Juste un vécu pathétique, simplement le récit d'une horreur banale et quotidienne. Déceler l'ignominie qui se déroule sous nos yeux sans qu'on s'en aperçoive, établir la confiance qui va permettre la confidence, trouver les mots justes pour dialoguer, sont choses pas faciles.

En refermant ce livre, on se sent un peu moins désarmé.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°279  ■ 27/10/1994