Autopsie d’une émeute - Histoire exemplaire du soulèvement d’un quartier

Christian BACHMANN et Nicole LE GUENNEC, Albin Michel, 1997, 237 p.

La politique de la ville a essayé d’enrayer la révolte urbaine, mais en vain. Quelques crédits débloqués, l’affinement de la répression et une plus grande discrétion de la presse ont surtout contribué à la placer en sourdine. Début des années 80, on comptabilisait 20 quartiers en « développement social ». En 1997, ils sont ... 1.300 ! « La délinquance ne tombe pas du ciel, par la création étrange et spontanée de jeunes ’’incivils’’ et de familles ’’éclatées’’. Elle s’inscrit dans un contexte économique et social précis » (p.189). A ce niveau, peu de miracles : accroissement de la polarisation, augmentation des disparités salariales et creusement des inégalités. Les émeutiers se battent contre ceux qui les nient quotidiennement, les condamnent à l’inexistence sociale et leur réservent un avenir en forme d’impasse. Les auteurs nous proposent ici un passage au scanner d’un quartier exemplaire. Non pas de ceux qui ont défrayé la chronique depuis des années, mais bien de ceux qui se réveillent un beau matin après une nuit d’émeute sans avoir compris ce qui était arrivé. Héros de ces pages : le quartier-nord de Melun en novembre 1993. Un banal accident de la circulation fait 1 mort : Mohamed. La police vient faire le constat. Et tout alors, s’enflamme. Car, les jeunes en sont sûrs : ce sont les flics qui en poursuivant l’adolescent ont provoqué son décès. La rumeur n’arrivera jamais (et encore aujourd’hui) à s’éteindre. Au-delà de ces faits dramatiques, le récit d’une semaine de colère permet de décortiquer les mécanismes de la violence urbaine. Fort taux de chômage (double de la moyenne nationale), délitement du tissu associatif local qui prive de médiateurs naturels, lois formelles remplacées par les codes de la rue, survie grace aux transferts sociaux ou à l’économie parallèle (bien qu’illégale), professionnels de la prévention quasi-inexistants, repli des habitants sur l’espace concédé comme dans une forteresse assiégée... La société française est à la croisée des chemins : soit prendre la voie tatchérienne de la répression et du gettho, soit repenser et renforcer les services publics dans une logique de compensation des inégalités sociales.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°416  ■ 30/10/1997