Mixité sociale : une imposture retour sur un mythe français

Hacène BELMESSOUS , L’Atalante, 2006, 140 p.

La ville française est dans une impasse : son territoire est aux abois, miné par des clivages et des oppositions  préjudiciables à la cohérence nationale. L’une des solutions préconisées pour répondre à cette dérive est le retour à la mixité sociale. Cette notion est née en mars 1972 d’une circulaire d’Olivier Guichard, alors ministre de l’aménagement du territoire. On la retrouve comme axe politique principal de la loi solidarité et renouvellement urbain, votée en 2000. Ce concept a connu au cours des décennies un succès non négligeable, déclenchant une vague de nostalgie tournée vers l’époque où les quartiers résidentiels brassaient les petites gens et les couches moyennes. L’auteur rappelle que cette évocation relève du mythe. Jamais le tissu urbain de notre pays ne fut structuré autrement que sous la forme d’une stratification opposant les quartiers riches et les quartiers pauvres. Même les grands ensembles, conçus au début des années 1950 pour résorber rapidement la crise du logement, furent le plus souvent aménagés selon des principes de ségrégation spatiale : il y avait la barre réservée aux instituteurs, celle proposée aux policiers, celle qui regroupait les ouvriers, celle qui était destinée aux fonctionnaires des services publics originaires des départements d’outre-mer... Le début du processus de prolétarisation de ces mêmes grands ensembles date des années 1960 et du choix de l’Etat de privilégier l’habitat individuel. Très rapidement, s’y concentrèrent les cas sociaux, les populations immigrées et les fractions de la société cumulant un taux de chômage, de délinquance et d’échecs scolaire élevé. Aujourd’hui, le processus s’est encore aggravé, les communes qui détruisent les cités HLM investissant non dans de nouveaux logements sociaux, mais dans l’accession à la propriété. L’exemple type qui peut mieux illustrer cette ségrégation spatiale est bien celui de Paris. Les quartiers aérés et salubres regroupant les hôtels particuliers se sont toujours opposés à ceux où les habitants ne disposaient, dans leurs modestes masures, ni d’air, ni de lumière. Dès le XIXème siècle, la bourgeoisie conquière le centre ville, en chassant les plus pauvres vers la périphérie. C’est l’épisode du Baron Haussman, Préfet de la Seine, qui n’aura de cesse pendant près de 20 ans que de détruire les plus vieux quartiers pour implanter de larges avenues, mais aussi de riches habitations : 19.722 maisons seront détruites et 117.555 familles chassées. Le même mouvement reprendra au lendemain de la seconde guerre mondiale, prétextant la lutte contre l’insalubrité. Entre 1990 et 1999, la population ouvrière a encore baissé  de 21,3% au profit des professions intellectuelles et de cadres qui elle s’accroît de 19,9%. Si l’urbanisme exprime la manière de penser d’une époque, on peut s’inquiéter d’une France se dirigeant tout droit vers la division spatiale en trois ghettos : celui des riches, celui des pauvres et celui des classes moyennes.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°811 ■ 05/10/2006