Les jeunes de banlieues mangent-ils les enfants?

Guénolé Thomas, Ed. Le Bord de l’eau, 2015, 214 p.

Non, la banlieue ne se réduit pas à une caricature à la Finkelkraut si couramment répandue dans la presse, le cinéma ou l’opinion publique. Elle n’est pas uniquement peuplée de ces jeunes en survêtement, la tête dans leur capuche, squattant les cages d’escalier, fumant du haschich, violant les filles, haïssant tout ce qui est français, dont les seules ressources viendrait du trafic et la suprême ambition serait de faire le Jihad ou de commettre des attentats. Si 75 % des français ont une bonne opinion sur les jeunes en général, 60 % ont une image négative de ceux des quartiers. Thomas Guénolé dénonce avec force cette « balianophobie », la réalité s’avérant bien moins spectaculaire que les fantasmes ambiants. Entre la poignée qui s’en sort, la minorité délinquante et les 0,12 % qui se laisse happer par le wahhabisme ou le salafisme, la norme qui s’applique à l’immense majorité c’est l’ennui ou la galère. Si la pauvreté frappe 30 % des populations qui y logent (contre 14 % en moyenne nationale), 21 % des 15-29 ans y sont au chômage (contre 9,5 %, partout ailleurs). Cette réalité s’explique par la fonction de transit des banlieues. Avec un taux de renouvellement de 61 %, un véritable chassé croisé s’y déroule : les uns en partent (comme ces générations nées sur place, ayant trouvé du travail), d’autres arrivent (les nouveaux migrants), quand d’autres restent sur place (par choix, mais surtout comme conséquences de la précarité). Comme dans toutes le religions, on assiste à une chute de la pratique musulmane : moins d’un tiers des 18-24 ans pratiquent la prière quotidienne et 20 % fréquentent la mosquée (contre respectivement les deux tiers et 40 % chez les plus de 55 ans). Quant au voile, 85 % des femmes de moins de 35 ans, refusent de le porter. La désislamisation progresse au même titre que la déchristianisation, toute déséthnicisation prenant quatre générations pour opérer. Les éclats de voix, les rires tonitruants et les interpellations à distance si caractéristiques de ces quartiers ne sont pas liés à une quelconque prédisposition au bruit, mais à l’étroitesse et au peu de confort des logements qui incitent à se retrouver « entre potes » au milieu de la cité. Quant à l’accusation de démission des parents, elle renvoie à des adultes se levant tôt et rentrant tard (n’ayant ni le temps, ni l’énergie de cadrer leur enfant), à ceux que le chômage décrédibilise ou aux familles monoparentales fragilisées. Les affrontements avec les policiers, souvent jeunes ? Quand l’avenir est fermé, s’impose la culture du capital guerrier que l’on partage avec eux.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1217 ■ 16/11/2017