Le traitement des adolescents délinquants

TREMBLAY, FAVARD, JOST et All, Fleurus, 1985, 394 p.

Il est parfois des livres qui, à peine parus, deviennent déjà obsolètes: manque de pertinence, trop grand attachement à des contingences vite dépassées. D’autres par contre, par leur hauteur de vue, restent longtemps d’actualité, voire deviennent des classiques. Tel est le cas de ce livre édité il y a dix ans mais qui n’a pas perdu de sa perspicacité. Cela provient, je pense, de la qualité de son approche. Loin de vouloir apporter une « vérité », il propose des contributions pluridisciplinaires, parfois contradictoires mais toujours enrichissantes. Il acquière par là-même une dimension large sans être exhaustive, globalisante sans être totalitaire et ouverte sans être diffuse.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à un tour d’horizon international des pratiques pénales et éducatives: Grande-Bretagne, France, Pays-bas et ce qui constituait alors encore l’Allemagne de l’ouest, mais aussi USA et Québec font ainsi l’objet d’une étude comparative permettant de restituer les logiques respectives de chaque pays sur le traitement des adolescents délinquants.

Puis viennent sept angles d’observation de cette question proposés par sept spécialistes différents: approche criminologique, écologique, clinique, expérimentale, psychiatrique, psychosociale et sociologique. Chacune de ces logiques apporte son propre éclairage qui permet de mesurer la complexité de cette réalité.

De cette étude passionnante, nous retiendrons quatre axes.

Premier point: le caractère à la fois relatif et contingent des règles sociales qui ne sont ni universelles, ni absolues. Or, c’est à partir de celles-ci que sont définies les transgressions que l’on va punir et stigmatiser. « Par les interrogations qu’elle suscite, la délinquance participe de façon dynamique à l’évolution des attitudes et aux ajustements des organisations et des structures sociales. Par ailleurs, en interrogeant les limites du prescrit et du toléré, elle confère une réalité à la variance des moeurs et à la flexibilité des lois ».

Deuxième point: les réactions de la société se situent entre deux extrêmes qui sont la répression sécuritaire et la déresponsabilisation de celui qui commet l’infraction. Deux pôles vont ainsi se détacher: prégnance de l’individu ou du corps social, déterminismes des conduites ou liberté des acteurs, droit des sujets ou devoir des citoyens. La priorité sera alors donnée au répressif ou au thérapeutique, au rééducatif ou au social. Là est bien la question: faut-il incriminer des structures sociales qui joueraient un rôle essentiel dans l’exclusion qui mène au processus de déviance ? Ou tout au contraire ne faut-il pas se pencher en priorité sur la personnalité du délinquant pour comprendre les sources et origines de ses actes ? Ou encore troisième hypothèse: n’y a-t-il pas un moment crucial où le jeune montre par ses passages à l’acte qu’il se situe bien à la croisée des chemins entre le besoin d’affirmation et de différenciation d’un côté et la nécessaire intégration et reconnaissance sociales de l’autre?

Troisième point: la délinquance est un terme générique qui recouvre des réalités bien différentes. Cette délinquance peut en effet être occasionnelle, réactionnelle ou sociopathique. Elle peut être liée à un état dépressif, névrotique, psychotique, voire limite (« border line ») de l’adolescent. Celui-ci peut souffrir de carences affectives ou de comportements caractériels.  La recherche ici prend tout son sens pour explorer cette question complexe, qu’elle se fasse selon les méthodes de la science fondamentale (ontogénétique= explication du phénomène, fonctionnelle= analyse des fins poursuivies, structurale= description, ...) ou de la science appliquée (téléologique= objectifs fixés à l’intervention d’aide, relationnelle=qualités requises pour l’intervenant face à tel type de délinquant).

Dernier point proposé ici (mais l’ouvrage comporte près de 400 pages !): il existe un certain nombre de questions minima à se poser dans le cadre de toute évaluation. Le jeune présente-t-il une menace pour la collectivité et/ou pour lui-même ?  Bénéficie-t-il d’un foyer protecteur ou bien ses besoins fondamentaux ne pourront-ils être satisfaits que dans un placement spécialisé ?

Un tel livre permet d’articuler utilement l’action des travailleurs sociaux qui agissent sur le mieux-être et l’intérêt immédiat des adolescents qu’ils ont en charge, et le travail de recherche, de réflexion et de prise de distance qui permet de replacer cette intervention dans une logique et une dynamique bien plus large.

 

Jacques Trémintin – Octobre 1995