Sous les regards de Caïn, l’impossible observation des mineurs délinquants (1945-1972)

Christian SANCHEZ, érès, 1995, 200 p.

Le droit des mineurs est un long chemin semé d’avancées importantes mais aussi d’avatars et parfois de grandes errances. La question qui traverse les différentes époques, c’est bien la distinction à établir ou non entre l’acte et la personnalité de son auteur. C’est la révolution française qui va marquer pour la première fois les notions de minorité pénale et de discernement. Dès lors, l’éducation et la répression vont se marquer respectivement à la culotte. Mais la direction est donnée: la loi de 1912 dans une certaine mesure et surtout l’ordonnance de 1945 imposent la mesure éducative comme une règle et la sanction comme une exception.

Dans cet itinéraire, l’expérience des Centres d’Observation est représentative d’une certaine méthode pour aborder la question de la délinquance juvénile. Christian Sanchez, éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, nous décrit cet épisode dans un ouvrage paru dans la collection « trajets » des éditions érès. 

L’objectif de l’observation consiste à étudier la personnalité du mineur afin de proposer au magistrat la mesure éducative la mieux adaptée. La solution adoptée réside dans le regroupement des jeunes de telle façon qu’ils révèlent les traits de leur caractère les meilleurs comme les pires. Le centre de Savigny est à cet égard exemplaire. Un domaine de vingt hectares y accueille à partir de 1945, 180 mineurs potentiels, mais ce chiffre sera toujours dépassé. La discipline et l’ordre y règnent. Les adolescents y sont soumis à une investigation dominée par un souci de la classification et de codification instrumentalisées à l’extrême. Examen médical, psychologique, psychiatrique, enquête sociale, évaluation scolaire et professionnelle, analyse de comportement, les moindre moments de vie quotidienne sont l’occasion de jauger la personne et de la placer dans la case qui lui correspond le mieux. Selon que le délinquant relève des catégories: « accidentel », « cas social », « subnormal », « arriéré intellectuel»,  « instable et fugueur », « dangereux avec malignité », « psycho-névrotique curable » ou « psychiatrique peu curable », on savait quelle orientation choisir. Le fugueur ira à Belle-Ile et le récalcitrant à Aniane ! Mais, ce modèle de fonctionnement entre en crise à la fin des années soixante. La séparation artificielle entre observation et prise-en-charge éducative ainsi que le sacrifice des mineurs à une machine à produire des rapports marquent les limites du principe-même du Centre d’Observation. De plus, le placement du jeune dans un cadre factice ne permet pas une observation vraiment efficace. On s’oriente en fait vers l’intervention en milieu ouvert dont l’observation est non pas le tout mais un moment de l’action. En 1971, le Centre de Savigny ferme ses portes, donnant naissance à l’Institution Spéciale d’Education Spécialisée. Mais, cela est une autre histoire.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°337 ■ 25/01/1996