Quelle justice pour les mineurs? Entre enfance menacée et adolescence menaçante

MILBURN Philip, érès, 2009, 236 p.

Si Philip Milburn rappelle que le régime spécifique de la justice des mineurs a toujours comporté en son cœur le statut d’enfant à éduquer et d’adulte en devenir, il distingue trois modèles qui se sont succédés depuis que le code pénal de 1810 introduisit la notion de discernement, établissant ainsi pour la première fois une distinction de traitement entre mineurs et majeurs. Le premier d’entre eux relève d’une approche disciplinaire : c’est le temps du droit de correction paternelle. Les jeunes au comportement déviant sont renvoyés vers une rééducation officialisée par la loi de 1850 qui crée les colonies pénitentiaires. La seconde époque est préfigurée, à la veille de la seconde guerre mondiale, par les campagnes de presse contre les bagnes d’enfants, notamment celles orchestrées par Alexis Danan. Elle est inaugurée par l’ordonnance du 2 février 1945 qui pose le principe de l’éducabilité de l’enfant. Les magistrats, les psychologues et les praticiens éducatifs se penchent sur la personnalité du mineur. Ses actes de délinquance sont interprétés comme autant de symptômes de sa mise en danger. Alors que, jusque là, on faisait appel à la conscience intérieure pour lutter contre le danger moral, la démarche clinique qui s’impose alors privilégie plutôt les causes extérieures psychosociales. Nous sommes là dans la logique d’une société de croissance et de plein emploi, imprégnée de solidarisme qui ne conçoit pas de laisser une partie de ses membres sur le bord du chemin. Ce second modèle va être bousculé à plusieurs niveaux. A la critique d’un Michel Foucauld mettant en accusation la prétention normalisatrice de ce paternalisme d’Etat, s’ajoute la montée d’un individualisme qui, valorisant l’épanouissement individuel, privilégie la responsabilité personnelle de tout un chacun. Le mineur ne doit plus être l’objet de réadaptation sociale, mais acteur de l’action éducative et un sujet de droit en devenir. Le mouvement tendant à reconnaître les droits de l’enfant induit bientôt l’exigence du respect de ses devoirs. Dès lors, la justice ne s’adresse plus qu’à des justiciables individuels, libres de toute contrainte sociale et définis par la seule responsabilité de leurs actes, la coercition et le rappel à la loi apparaissant seules à même de permettre la normalisation des comportements. Le comportement infractionnel n’est plus considéré comme une résultante, mais comme la source de la rupture d’équilibre. Ce paradigme responsabiliste qui tend à s’imposer aujourd’hui ne s’intéresse plus à la personnalité du mineur, mais à l’acte déviant qu’il a commis et son contexte de réalisation, se fixant comme archétype un comportement adulte, libre, citoyen et justiciable, fondé sur la connaissance de la loi et le contrôle de soi.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°986 ■ 23/09/2010