Sociologie de la délinquance

MUCCHIELLI Laurent, Ed. Armand Colin, 2014, 222 p.

A la fois somme et synthèse, le travail réalisé par Laurent Mucchielli n'est rien moins que passionnant. Souvent prisonnière de l'idéologie sécuritaire, la question de la délinquance est traitée ici avec rigueur et érudition. L'auteur retrace d'abord la cheminement de son étude : depuis la perspicacité d'un Durkheim jusqu'à la création dans les années 1990 de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure, en passant par la fertile école de Chicago et la réflexion menée par le centre de Vaucresson sur la délinquance juvénile. La sociologie a réussi à supplanter les conceptions qui, à l'image des théologies, avaient tenté de chercher des causes du côté de la biologie, de l'hérédité ou du médical. Ce qui prévaut aujourd'hui, c'est le pluralisme théorique et méthodologique, la complexité l'emportant sur les prétentions à vouloir tout expliquer. Et cela tient à la plasticité des normes pénales qui ne vont pas de soi. « Nous ne réprouvons pas un acte parce qu'il est un crime, mais il est un crime parce que nous le réprouvons » affirmait Durkheim. Dans beaucoup de sociétés anciennes, ce qui était vécu comme le plus grave, ce n'était pas les atteintes à la vie … mais le blasphème, le sacrilège ou la transgression d'un interdit rituel. Le viol fut longtemps considéré comme moins grave que l'atteinte à la propriété. L'élimination des nouveaux nés atteints de malformation était tout autant banalisée. Dans le même temps où l'avortement et l'homosexualité finirent par être dépénalisés, on a vu se construire la notion de maltraitance intra familiale jusque là taboue et laissée à la discrétion du chef de famille. La délinquance est donc bien une notion relative, définie par la loi, dans une société donnée et à un moment donné. Les évolutions contemporaines en sont une autre illustration. On assiste depuis quelques décennies à une véritable inflation judiciaire relevant d'une frénésie sécuritaire que l'auteur analyse à partir de plusieurs causes. Le degré de tolérance, d'abord, qui s'est effondré : « plus un phénomène désagréable diminue, plus ce qui en reste est perçu ou vécu comme insupportable » (Chesnais). Le lobbying des syndicats de policiers ensuite, particulièrement efficace tant auprès des politiques que de l'opinion publique. Les media enfin, à la fois recherchant et suscitant la sensation et l'indignation. Cette collusion produit une focalisation sur les actes des couches les plus défavorisées de la société et des plus jeunes. Quant aux fraudeurs de la haute société, ils bénéficient d'une quasi impunité : corruption, fraude fiscale, délinquance en col blanc, infraction à législation du travail disparaissent de la procédure au fur et à mesure que l'on se rapproche du coeur de la machine judiciaire transformée, au nom de la tolérance zéro, en machine à broyer les plus pauvres mais incitée à dépénaliser progressivement la délinquance des affaires.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1193 ■ 13/10/2016