Ce que les riches pensent des pauvres

PAUGAM Serge, COUSIN Bruno, GIORGETTI Camila, Éd. Seuil, 2017, 347 p.

En partant d’une étude sur les beaux quartiers de Sao Paulo, Delhi et Paris, les auteurs ont cherché à identifier le regard que portent les riches sur les pauvres. Bien sûr, le contexte est à chaque fois différent. Au Brésil, des favelas côtoient de luxueuses villas protégées à l’intérieur d’espaces clôturés. En Inde, la structuration spatiale est encore fondée sur le système des castes : intouchables dans les bidonvilles et classes supérieures dans les enclaves résidentielles qui leur sont réservées. Le XVIème arrondissement de la capitale française s’est mobilisé pour préserver son entre-soi, en s’opposant au projet de centre pour SDF qui devait s’y implanter. Pour autant, un certain nombre de constantes idéologiques transnationales se retrouvent dans l’agrégation affinitaire des plus aisés et la ségrégation des plus démunis stigmatisés à l’aune de la rhétorique de la méritocratie. Trois stratégies sont mises en œuvre pour y parvenir. Cela passe d’abord par la volonté de s’entourer de personnes dont on partage le sens de la distinction et les valeurs morales, comme autant de frontières symboliques et culturelles qui considèrent qu’élite et déshérités puissent appartenir au même monde. C’est ensuite les réflexes hygiénistes fondés sur des peurs de contamination et de souillure à l’égard de pauvres réduits à la saleté et aux ordures. C’est enfin la neutralisation de toute compassion qui est alimentée par la naturalisation d’une pauvreté qui trouverait son origine dans la paresse et/ou l’installation dans l’assistance. Pour autant, la crainte de la promiscuité est bien moins forte à l’égard des populations défavorisée, quand elles alimentent la domesticité des riches. Encore tenues à distance, elles ne sont plus soupçonnées d’impureté ou de fainéantise.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1292 ■ 30/03/2021