Je suis noir et je n’aime pas le manioc

Gaston KELMAN, Mad Max Milo éditeur, 2003, 182 p.

« Je suis noir et je suis cadre, mais ne le dites pas à mon voisin, il me croit éboueur » Gaston Kelman aborde ici la question du racisme sous un angle inhabituel. Il n’est pas tant question ici du crétin qui rejette ouvertement celui qui est différent, mais du citoyen moyen prisonnier de l'atavisme qui amène à penser l’autre à partir non de ce qu’il est, mais de ce qu’il devrait être, conformément à l’idée qu’on se fait de ses caractéristiques congénitales. Il y aurait enracinement dans un état originel dont on ne pourrait se défaire et sur lequel n’influeraient ni la culture, ni le milieu social ni l’éducation. Ainsi, la réussite sportive du noir n’est attribuée ni à ses efforts ni à des conditions sociologiques mais à sa morphologie particulière. Or, « le sport, la musique, le rythme sont des acquis socioculturels et non des éléments innés et naturels », (p.124) Le noir participe à l’œuvre de pétrification de son image, en acceptant ce qu’on dit de lui, et en en faisant une vérité, un élément constitutif de son identité et de sa personnalité. Pourtant, il n’existe pas de culture africaine : la distance entre un cadre de Douala, Bamako ou Dakar diplômé et urbain et un agriculteur du Sahel est la même qu’entre un cadre suédois, un Golden Boy de Manhattan ou de la City et un agriculteur de Turquie, un pêcheur de Tchétchénie ou un Gitan de Bulgarie. On est africain non parce qu’on est noir mais parce qu’on est né en Afrique. Une tradition africaine veut qu’on soit rattaché à la terre où est enterré son placenta : portos, blackos, pingouins, germains, tous les enfants nés en France dont français non pas seulement par logique administrative, mais dans leur tête, dans leur vient dans leur accent, leurs goûts, leurs choix, leurs aspirations, dans les racines qui les rattachent à leur terroir. L’auteur affirme ne pas comprendre pourquoi un enfant né sur les bords de la Seine ne pourrait s’assimiler et se fondre dans le modèle culturel de son espace de vie, mais qu’il devrait conserver ses racines. Pourquoi le Soninké aurait-il le droit de préserver son mode de vie. Pourquoi pas le bédouin, le peau rouge, l’inuit, le tartare, le papou et le périgourdin ? Si une ethnie acquière le droit de ne pas s’adapter et de préserver ses coutumes, alors toutes les autres doivent aussi en bénéficier. Un européen vivant en Afrique doit-il pour préserver ses coutumes s’habiller en kilt s’il est écossais et sa femme en bigoudène, si elle est bretonne ? « Je veux être français et bourguignon noir, sans que l’on me renvoie éternellement à l’Afrique. je veux être le seul qui décide ce que je garde de mes racines et ce que je transmettrai à mes enfants » (p.24) Bob Marley chantait le jour où la couleur de la peau n’aurait pas plus d’importance que la couleur des yeux : « je suis noir et je n’en suis pas fier. Franchement je ne vois pas pourquoi je le serai. Tout simplement parce que je ne vois pas de raison çà ce qu’on crie sa fierté d’être blanc, jaune, rouge ou noir » (p.136). Un livre qui aborde un point de vue particulier, mais dont la finesse d’analyse et l’humour ravageur en font un essai à surtout ne pas rater.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°718 ■ 22/07/2004