Intégration: mode d’emploi. Les tribulations d’un ''musulman laïque''

BICHARA Ahmat Zeïdane, Ed. Le bord de l’eau, 2011, 183 p.

Jusqu’en 2005, Ahmat Zeïdane Bichara était journaliste au premier quotidien tchadien Le progrès. Il publie alors un article sur un camp de dressage islamiste à N’Djamena où les enfants « récalcitrants » sont frappés, enchaînés et enfermés. Sollicité par Envoyé spécial, il aide le reporter à y pénétrer, avec une caméra cachée. Après la diffusion de ce reportage, il est menacé de mort par les milieux intégristes. Il doit fuir son pays. Il se réfugie en France, où il obtient l’asile politique. C’est le cheminement réalisé, depuis six ans, par cet immigré peu ordinaire, qu’il nous décrit ici. Ce journal d’exil constitue un précieux témoignage et un récit quasiment ethnographique du parcours du combattant vécu par un candidat à l’intégration, dans notre pays. L’auteur n’est pas de ceux qui peuvent supporter de s’installer dans une oisiveté forcée ou de se contenter de percevoir le RMI. Dès que son statut est régularisé, il se met donc à chercher du travail. A part journaliste et universitaire, il n’a pas de qualification. On lui propose éboueur. Il ira chercher, dans le dictionnaire, la définition de cette fonction inconnue dans son pays natal qui laisse les ordures ménagères s’accumuler, en collines d’immondices. Après avoir vidé les poubelles, Ahmat Zeïdane Bichara triera des déchets recyclables, puis suivra une formation de CAP plombier, avant de trouver du travail dans une bibliothèque, à Toulouse. Il réussit, après de nombreuses complications, à obtenir le regroupement familial de sa femme et de ses deux enfants. Tout au long de ces épreuves, il n’en finit pas de comparer la culture hexagonale et celle de son pays natal. Une grande liberté de parole, d’abord, qui l’étonne lui qui vient d’une contrée ayant connu la dictature pendant des dizaines d’année. Le traitement princier accordé aux chiens qui, chez lui, n’ont que rarement le droit d’entrer dans les maisons. Un taux de SMIC hexagonal vingt fois supérieur à ce qu’il est là-bas. Des espaces verts et une architecture bien différents du champ de ruine que constitue N’Djamena. Des relations conviviales entre les parents et les enfants, alors que chez lui, elles se fondent sur un rapport de domination : un mineur qui ose contredire un adulte risque d’être battu. Il ne doit de toute façon jamais le regarder dans les yeux, sauf si celui-ci le lui ordonne. Des posters pornographiques et des prises d’alcool sur le lieu de travail, pratiques totalement inconcevables dans son pays. Des hommes qui mettent facilement la main à la patte pour cuisiner, coutume inimaginable chez lui. De strictes règles protectrices du droit travail, alors qu’au pays, la corruption domine à tous les niveaux. Cette comparaison faite entre deux cultures si différentes, illustre bien les épreuves rencontrées, avant de réussir son intégration.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1036 ■ 27/10/2011