Accompagner la personne gravement handicapée. L’invention des compétences collectives

AMISTANI Carole et SCHELLER Jean-Jacques (sous la direction de), érès, 2008, 205 p.

L’ouvrage présente la recherche-formation effectuée par des professionnels, des formateurs et des chercheurs entre 2004 et 2006. Tout part d’un constat : être confronté à une population lourdement déficitaire est un défi pour des professionnels qui ont parfois le sentiment que leurs compétences sont mises à mal. D’où l’intérêt de se reposer les questions éthiques de cette intervention. Première dimension : reconnaître l’autre déficient, comme un être humain à part entière. Même si le handicap nous est indispensable pour comprendre notre condition, elle le fait d’une manière insupportable, en nous renvoyant notamment à cette part d’animalité en nous que l’on pense devoir rejeter, pour accéder à l’identité humaine. L’époque moderne a inauguré toute une série de classifications opposant le normal et le pathologique, l’intégrable et le ségrégué, l’inapte et le performant. Et il nous faut nous déprendre de ces catégories de pensée pour réussir à considérer la personne handicapée non comme malade ou diminuée, mais comme un sujet singulier riche d’un potentiel, aussi minime soit-il, qu’il faut essayer de valoriser. Seconde dimension, concomitante de la première, le statut de la personne handicapée. Les interventions qui lui sont proposées sont très souvent correctrices et cherchent à la normaliser : réadaptation, rééducation, orthopédie... Dès lors, deux paradigmes s’affrontent. L’un, différentialiste, revendique l’identité d’un groupe minoritaire et réclame des droits spécifiques. L’autre, universaliste, affirme que nous sommes tous handicapés ou du moins temporairement valides. S’appuyer sur une entrée ou sur l’autre change le regard et l’action menée en direction de cette population. Troisième figure, celle qui s’intéresse à la nature de la posture d’accompagnement. La fragilité de l’usager et le choix du professionnel d’y répondre induit une inégalité de position faite d’un côté, de compassion et de compétence et de l’autre, de soumission et d’une mentalité d’assisté. Construire un vivre ensemble doit s’appuyer sur l’instauration d’une réciprocité entre personnes égales et différentes. Cette relation doit se tricoter à l’aide de deux valeurs : le respect et la sollicitude. Le respect s’oppose à la tentation de vouloir modeler l’autre à son image ou l’assujettir au bien qu’on veut pour lui. La sollicitude, c’est prendre soin, faire attention, avoir le souci de l’autre. Mais, fonder un échange basé sur la symétrie passe aussi par la construction d’un champ de compétences professionnelles transversales non plus seulement juxtaposées, mais articulées et partagées.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°948 ■ 05/11/2009