Drogues légales - L’expérience de Liverpool

Anthony Henmann, Editions du Lézard, 1995, 146 p.

Le Royaume-Uni se distingue des autres pays du monde par une politique de délivrance contrôlée des drogues « dures » qui remonte à 1926. Contrairement aux pratiques prohibitionnistes en vigueur dans le reste du monde, le « British System » permet à tout médecin de prescrire n’importe quelle substance psychotrope à un patient. Une loi est juste venue réduire cette possibilité en 1967, en exigeant que les praticiens ayant cette liberté soient titulaires d’une licence du Ministère de l’Intérieur. Pour faire face à la vague de toxicomanie, des cliniques spécialisées devaient s’établir dans les régions les plus touchées. C’est ainsi qu’ouvre en 1982 à Widnes dans la région de Liverpool un premier établissement sous la direction du Docteur Marks. En 1985, deux nouveaux centrse  se créent . Toute une gamme de drogues peuvent y être prescrites: héroïne, méthadone, amphétamine et cocaïne. Mais, cette prescription s’inscrit dans une logique plus large de prévention des risques. Ce dont il s’agit c’est bien d’attirer le maximum d’usagers dans les services de soins et de développer chez eux des pratiques sanitaires favorisant la prévention du VIH. Les résultats de ce qui devient très vite le « modèle de Liverpool » sont uimpressionnants.

 En matière de criminalité tout d’abord. Des études menées par la brigade de police locale chargée des stupéfiants concernant les 142 clients dui dispositif du Docteur Marks font état d’une diminution de 6,88 à 0,44 condamnations en moyenne par personne, soit une division par 15 des actes de délinquance.

En matière sanitaire, ensuite. Le taux de toxicomanes séropositifs s’effondre d’une manière spectaculaire. La région concernée par cette expérience comporte un taux de personnes se droguant par injection presque deux fois supérieur à celui de la région londonienne. On y compte pour autant seulement 8 porteurs du virus par million de personnes contre 187 en Ecosse et 135 dans le nord-ouest de Londres. Le taux d’infection des toxicomanes y est de 1,5% contre 30 à 50% de bien d’autres villes européennes.

A la fin des années 80, un reportage télévisé superpose un discours férocement anti-drogue de Madame Thatcher avec l’image du Docteur Marks en train de signer une ordonnance de Cocaïne. L’ambassadeur américain s’en émeut. Dès lors, le gouvernement va tout faire pour mettre un terme à l’expérience de Liverpool. L’attaque ne peut être frontale: les résultats sont trop probants. C’est donc par le biais de la privatisation des centres de soins que les prohibitionnistes vont réussir à évincer un Docteur Marks élevé au rang d’hérétique.

Le British System a fonctionné des années 20 à la fin des années 60 en essayant de fournir aux toxicomanes dans des doses suffisantes la drogue de leur choix jusqu’à ce qu’ils décident d’eux-même à se désintoxiquer. Cela a permis d’éviter l’extension du marché noir, les accidents fatals et les complications sanitaires. Le taux de sortie de la toxicomanie ne s’en trouvait pas inférieur par rapport aux régimes fondés sur l’abstinence. C’est dans le même esprit que l’expérience de Liverpool a tenté de répondre à la vague de drogue des années 60/70. Si elle a besoin d’être critiquée pour continuer à avancer, son sabotage n’est pas la meilleure solution.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°360 ■ 04/07/1996