T’es toujours en vie, toi?

DARMON Laëtitia,  KIMO,  Le cherche midi, 2008, 210 p.

La famille de Kimo arrive du Portugal, en 1964. Quand leur père, venu travailler en France deux ans plus tôt, la fait venir, c’est pour l’héberger dans un bidonville de Massy. Huit années dans ces conditions et le F5 d’une cité HLM obtenu en 1972 devient un véritable palace, sa modeste baignoire prenant les dimensions d’une piscine ! Ce qui pourrait être la destinée banale d’une famille ouvrière immigrée prend ici la dimension d’une tragédie grecque. Ecrit de main de maître, ce récit est à la fois terrifiant et édifiant. Car le père de Kimo présente toutes les caractéristiques d’une brute épaisse qui aurait de grandes chances de se retrouver aujourd’hui derrière les barreaux. Passe encore le mari qui envoie sa femme coucher avec les enfants, quand il reçoit sa maîtresse du moment dans la chambre nuptiale. Cette attitude dominatrice et machiste est insupportable, mais elle concerne des adultes. Ce despotisme n’est pas que conjugal, il s’étend à toute la famille en se combinant à une violence débridée : « quand mon père commence à mettre une raclée, il ne s’arrête que lorsqu’il n’a plus de force » (p.18). C’est méticuleusement, qu’il entoure un manche de pioche avec du gros scotch, pour l’avoir bien en main quand il frappe. C’est tout aussi minutieusement, qu’il récupère sur ses chantiers des fils électriques pour les utiliser comme martinet. Quant à son ceinturon, il a bien soin de ne pas utiliser la lanière de cuir, mais la boucle qui fait bien plus mal et laisse les visages tuméfiés. « Les coups, je les appréhende mais, à force d’en recevoir, je commence à découvrir que je peux les supporter » (p.29) L’éducation à la dure ne portera pas les fruits espérés. Un parcours fait d’école buissonnière, de délinquance, de violence mène en centre de jour PJJ, puis en maison d’arrêt. Et puis, c’est le shit, les cachetons, le sniff, le shoot, la came : « ma manière inconsciente de lancer un appel, de crier que j’ai besoin d’aide » (p.40). Une consommation qui devient quotidienne et indispensable menant, à cette époque de tous les dangers, au SIDA. Le frère aîné succombera à la maladie. La sœur aînée se jettera par la fenêtre, ne supportant plus d’en être, elle aussi, victime. Kimo est bien parti pour suivre la même voie. La rencontre d’une équipe médicale spécialisée, puis celle d’une compagne attentive qui ne le rejette pas, seront ses tuteurs de résilience. Aujourd’hui âgé de 38 ans, il s’interroge : « quelle vie nous aurions pu avoir si notre père avait été plus proche, moins violent ? » (p.209)  Chacun pourra lire ce témoignage, à sa façon. On peut tomber dans le compassionnel qui n’est pas loin de la pitié. Mais, on peut aussi rechercher, au travers de ces pages, les racines et les explications de bien des comportements que la société n’hésite pas à condamner, à défaut de réussir à les comprendre et à les prévenir.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°923 ■ 02/04/2009