Violente adolescence, pulsions du corps et contrainte sociale

GRAPE, Serge LESOURD, 1998, érès, 186p.

Il est des fois où la psychanalyse apporte un éclairage foudroyant au fonctionnement humain. Il en est d’autres où elle est l’occasion de bavardages confus et narcissiques. Les actes du colloque du GRAPE tenu en novembre 1997 à Paris illustrent parfaitement cette réalité. Le lecteur y trouvera le pire et le meilleur. Je ne me ferai l’écho que du second. Le hasard faisant bien les choses, la toute première contribution, celle de Christine Arbisio en constitue une des illustrations les plus intéressantes.

L’enfant qui vient au monde n’a d’autre choix que la violence s’il veut exister en son nom explique l’intervenante. Il lui est nécessaire de s’extirper de la fusion parfaite et de la complétude absolue qui le relient à sa mère. S’il veut accéder à une vie psychique différenciée, il va devoir opérer le meurtre de cette relation archaïque. Grandir constitue dès lors un acte agressif fait de séparation et d’individuation. « La relation à l’autre est initialement empreinte de jalousie et de rivalité. »(p.19) En dépassant la phase œdipienne, l’enfant investit la sévérité et la violence de ses pulsions dans la répression de ses désirs. La maturation sexuelle et psychique de l’adolescence vient réveiller la brutalité de ces pulsions violence. Le jeune n’a d’autre choix que d’orienter cette violence soit vers l’extérieur, soit vers l’intérieur.  Cette démonstration permet de définir l’agressivité comme une pulsion indispensable en ce qu’elle permet la différenciation et l’affirmation individuelle. D’où la nécessité de ne pas confondre agressivité et violence, révolte et haine, conflits nécessaires et guerre. L’opposition n’est pas dangereuse en soi. Elle se transforme en violence chaque fois qu’il y a défaut de différenciation ou que « le sujet perd conscience de l’altérité subjective de son adversité ou la dénie »(p.31) Pour autant, il faut éviter une généralisation hâtive. Chaque sujet vit ce passage d’une manière unique, les internalisations de l’enfance aidant à rendre ces épreuves plus faciles. Ce qui s’est joué dans l’enfance a des chances de se retrouver dans la période adolescente. Du côté des adultes, les peurs et les plaintes exprimées ont rapport aussi avec leur difficulté à tolérer et à organiser l’énorme poussée pulsionnelle de la puberté. Les adolescents ressentent de leur côté de la souffrance dans leurs tentatives pour s’introduire dans le social, avec ses enjeux de tromperie, ses limites et ses contraintes. Les forces internes qui l’assaillent ont besoin d’être contenues au risque de se transformer en compulsion de répétition ou de destruction. La tâche n’est pas simple. D’où la question de savoir la place qui est réservée à des jeunes destinés à prendre la relève des vieilles générations qui ont tant de mal à se pousser un peu : face à cette obstruction de plus âgés, la violence n’est-elle pas alors la seule forme de réponse qui subsiste ?

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°503  ■ 14/10/1999