Vivre sans violences ? Dans les couples, les institutions, les écoles

Micheline CHRISTEN, Charles HEIM, Michel SILVESTRE, Catherine VASSELIER-NOVELLI, érès, 2004, 224 p.

Dans un monde où les repères stables sont brouillés, il est important de se mettre d’accord sur les définitions. C’est ce que font les auteurs en ouverture de leur ouvrage, en distinguant bien entre la colère (mode d’expression de l’agressivité), les contraintes (les limites des conduites autorisées et les sanctions de leurs transgressions qui permettent le vivre ensemble), l’agressivité (comportement inné lié à l’instinct de survie) et la violence (atteinte à l’intégrité physique, sexuelle ou psychologique du sujet). Rejetant toute origine naturelle, les auteurs attribuent la source de cette violence à une organisation sociale largement structurée autour des rapports de domination de l’homme sur l’homme (et la femme). La réflexion qu’il nous propose ici s’appuie sur le travail thérapeutique qu’ils assurent tant auprès d’hommes auteurs de violences conjugales qu’en tant que formateurs intervenant auprès d’institutions sur la violence qui peut s’y exercer. L’action qu’ils mènent tente de décrypter les racines des comportements brutaux afin d’aider à mieux les contrôler. Ainsi, l’aide apporté aux  hommes se rendant coupables de graves sévices contre leur conjointe, ne vise nullement à éviter la sanction pénale, mais à accompagner la prise de conscience de leur pleine responsabilité. Pour autant, il existe une force supérieure à celle de la violence de l’agresseur et à celle de la souffrance de la victime : c’est la force de la relation de couple qui perdure parfois même quand elle place l’un en situation d’auteur et l’autre de souffre-douleur. La thérapie proposée parfois à ces couples commence toujours par un engagement écrit de l’homme et de la femme, le premier renonçant à toute violence et la seconde acceptant de quitter le domicile à la moindre récidive. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux circonstances qui peuvent amener la violence à s’exercer dans les institutions (de protection de l’enfance ou à l’école). L’organisation du travail, le mode de management, l’épuisement professionnel, le manque de reconnaissance peuvent faciliter considérablement les comportements violents des éducateurs. Les institutions où l’on a plaisir à travailler, qui disposent d’espace de parole pour évacuer les tensions et où l’on réhabilite l’art de prendre soin de soi pour pouvoir ensuite prendre soin des autres, ne sont pas exempts de dérives mais peuvent bien mieux les contrôler. La violence peut d’autant mieux se traiter que l’on passe de l’épistémologie analytique qui désigne un individu comme violent à une épistémologie systémique qui reconnaît bien que cette même personne use de violence, mais dans tel contexte alors que dans d’autres circonstances, il sera différent. Voilà un ouvrage foisonnant et riche qui mérite vraiment d’être lu autrement qu’au travers d’une critique bien réductrice.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°710 ■ 27/05/2004