Ne m’appelez plus jamais crise

Michel FIZE, érès, 2003, 160 p.

Michel Fize dénonce dans ce petit ouvrage fort bien documenté, le concept de crise d’adolescence, auquel il dénie toute légitimité. On doit reconnaître à l’auteur la pertinence de sa critique concernant la dérive qui a consisté à identifier toute une classe d’âge à ses seuls membres socialement en difficultés ou mentalement perturbés. Effectivement, Anna Freud avait sans doute tort d’affirmer que l’équilibre serait non seulement impossible à l’adolescence, mais que la tranquillité à cet âge serait pour le moins anormale et inquiétante. Allant chercher l’origine de ces hypothèses largement partagées, Michel Fize remonte à Jean Jacques Rousseau et Sigmund Freud en les soupçonnant d’avoir voulu faire une généralité de leur propre jeunesse perturbée. Puis, il remet en cause la conception traditionnelle qui fait de l’évolution humaine un cheminement linéaire entre un stade d’incomplétude physique et d’imperfection mentale qui caractériserait l’enfance jusqu’au stade supérieur d’achèvement physiologique et de sûreté morale atteint par l’adulte. Si l’enfant ne bénéficie pas de capacités définitivement formées, remarque-t-il, il n’en est pas moins pourvu d’un système d’analyse qui lui assure une compréhension du monde des autres. En fait, l’intelligence adulte ne serait pas supérieure à celle des autres âges, mais simplement différente. Cet adulte, quant à lui, est loin de constituer un modèle complet et achevé. Si on définit la maturité comme le choix entre plusieurs satisfactions et gratifications et la capacité à assumer la frustration née de ce choix, c’est à dire du renoncement à d’autres désirs simultanés, sans que cela n’entraîne de perturbations graves, alors l’adulte n’est pleinement mature que dans certaines conditions et certaines conjonctures. Cela relève de l’inachèvement fondamental de la condition humaine. Si l’on parle de ces perturbations constatées malgré tout à l’adolescence, elles ne sont pas isolées dans une vie parcourue par d’autres moments de remise en cause parfois aussi intenses. La véritable source de ce qu’on prend à tort pour une crise d’adolescence n’est autre que la révolte provoquée par des attitudes parentales qui n’acceptent pas que leur enfant puisse se former des opinions personnelles, soit en quête d’autonomie, revendique le droit de juger par lui-même, de prendre seul ses décisions et de choisir librement ses amis. « La crise d’adolescence n’a pas de raison d’être, lorsque les revendications des adolescents peuvent être socialement satisfaites » (p.91) Il y a donc lieu d’imputer les comportements adolescents non à la nature humaine mais à l’attitude réactionnelle des adultes. Que l’on partage ou non la démonstration de Michel Fize qui, livre après livre dénonce l’oppression du peuple adolescent par le monde des adultes, son propos mérite d’être lu, ne serait-ce que pour la remise en cause d’évidences et de certitudes que l’auteur ébranle avec brio et talent.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°657  ■ 13/03/2003