Les enfants au Moyen-Âge, V-XVème siècle

Danièle ALEXANDRE-BIDON et Didier LETT, Hachette, 1997, 280p.

Quand on parle du Moyen-Âge, on pense inévitablement aux travaux de Philippe Ariès qui défendit en 1960 la thèse d’une absence du sentiment d’enfance et de tout souci éducatif à l’époque médiévale. L’ouvrage de Danièle Alexandre-Bidon et Didier Lett apporte un démenti et une réhabilitation d’une période qui pour n’être pas rose n’en était pas si noire que cela.

Dès l’avènement des premiers empereurs chrétiens, la toute-puissance paternelle est remise en cause. Au IV ème siècle, Constantin introduit même la déchéance de son autorité dans le cas où le père livre sa fille à la prostitution ou contracte avec elle une union incestueuse. Il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour que la législation française intègre la même disposition. Le haut Moyen-Âge protège et valorise la maternité. L’abandon est préféré à l’infanticide fortement condamné. L’adoption et même les familles d’accueil rémunérées sont instituées.  Toutefois la stérilité tout comme les naissances anormales sont assimilées à une punition divine. Ainsi, quand une femme accouche de plusieurs bébés, c’est le signe du péché: elle a eu des relations sexuelles avec plusieurs hommes. L’instauration du pédobaptême démontre l’intérêt porté à l’enfant. On n’attend plus l’acquisition des connaissances religieuses requises pour ce sacrement qui garantit le sauvetage de l’âme en cas de décès prématuré (intervenant fréquemment à cette période). La famille nucléaire telle qu’on la connaît aujourd’hui est plus fréquente qu’on ne l’imagine. De nombreux récits rapportent les preuves de l’amour maternel et même d’une affection paternelle, les rôles parentaux étant aussi interchangeables qu’ils tendent à l’être dans notre seconde moitié du XXème siècle. La            faible espérance de vie rend les grands-parents peu présents. Quant aux parents, l’un ou l’autre sont fréquemment manquant, rendant les recompositions familiales courantes du fait des remariages. Les enfants sont mis au travail très jeunes, le plus souvent auprès de leurs parents. Mais l’apprentissage auprès d’artisans ou de commerçants est aussi courant. Un contrat est passé qui implique tant le jeune que son maître. Le premier peut attaquer en justice et gagner son procès contre le second si celui-ci se montre trop brutal. Bien sûr, les mauvais traitements et les rudes conditions de travail existent. Mais elles ne sont pas généralisées. Un adolescent de 14 ans peut gagner le tiers du salaire d’un adulte: la tradition du sous-paiement des femmes et des mineurs ne date pas d’hier. Citadins et paysans accèdent aux rudiments de la culture par des professeurs qui se font concurrence pour attirer le public. L’illettrisme caractérise en fait ceux qui, sachant compter, lire et écrire ne connaissent pas le latin ! Les enfants sont livrés à eux-mêmes dans les rues. Les méfaits qu’ils commettent seront jugés en fonction de leur âge. Ceux qui sont abandonnés sont recueillis dans les hôpitaux généraux où leur espérance de vie est bien limitée. Mais la société médiévale comporte sa face cachée faite de rapts d’enfants que l’on mutile pour les transformer en mendiants qui attirent la pitié ou que l’on prostitue.

Le Moyen-Âge apparaît comme une époque aux multiples histoires d’enfance, avec ses dérives et ses côtés positifs. Sa stigmatisation s’avère non méritée.

 

Jacques Trémintin – GAVROCHE  ■ n°97 ■ janvier-février 1998