Le démariage

Irène THERY, Odile Jacob, 1994 396 p.

Quand on s'attaque à l'épais volume d'Irène Théry, on est pris d'un certain vertige devant ses presque 400 pages ! Mais, très vite, on est conquis et séduit par des propos jamais ennuyeux et toujours constructifs.
La sociologie se propose d'éclairer la réalité sociale en éliminant les opinions et a priori. Le contrat est ici rempli. A partir d'études de nombreux dossiers de jugements, l'auteur dresse un tableau tout à fait pertinent et édifiant.
L'histoire du divorce, c'est un mouvement qui va du "droit du modèle" qui se veut protecteur de la structure familiale considérée comme noyau de la société, vers le "droit du principe" qui garantit à l'être humain le respect de ses droits fondamentaux jusque dans la sphère de l'intimité. De la compétence exclusive de l'église jusqu'au XIe siècle, le pouvoir séculier va s'imposer petit à petit : c'est la révolution de 1790 qui imposera le mariage civil. Le divorce suit en 1792. Après sa suppression lors de la restauration de 1816, il est rétabli en 1884, profitant ainsi de la poussée anticléricale de l'époque. En 1975, intervient la réforme ouvrant la possibilité d'une séparation selon la procédure du consentement mutuel. Cette option devient très vite majoritaire (puisqu'elle passe de 9,7 à 52,4 % de 1976 à 1981). Pour les commentateurs de l'époque, simple régularisation par le droit de l'évolution des mœurs, de nouvelles mutations vont provoquer un total rééquilibrage de l'institution familiale. Effondrement de la nuptialité, croissance des naissances hors-mariage (qui passent de 6 % en 1965 à près d'un tiers aujourd'hui), explosion du taux de divorce (10 % jusqu'à 1965, 30 % depuis 1985). "L'éventualité de la séparation est désormais inscrite au cœur de chaque union". La vie privée a trouvé un fonctionnement moins fixé d'avance par la nécessité et la norme sociale. Il s'ensuit une famille se construisant dorénavant plus autour des enfants que du couple. L'indissolubilité de la filiation vient remplacer l'indissolubilité matrimoniale.
Irène Théry a consacré de nombreuses pages à démystifier un certain nombre d'idées reçues.
Ainsi, de l'intérêt de l'enfant qu'il est illusoire de croire pouvoir établir scientifiquement. Chaque enfant est unique et évolue dans le temps. On trouve tout autant ceux qui souffrent du conflit que ceux qui le créent et l'attisent, ceux qui ne veulent pas choisir que ceux qui rejettent violemment un parent.
On a coutume aussi de penser que le juge possède un large pouvoir de décision. En réalité, il entérine presque toujours la solution du couple quand celui-ci s'est mis d'accord, le désir de l'enfant quand il l'interroge et l'avis de l'expert quand il faut départager les parents. Mais, ce dernier ne fait lui qu'avaliser la situation de fait qu'il a trouvée. Il y a donc une quasi autorégulation par les parents. Tout semble se jouer dans les premiers jours qui suivent la séparation.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°299 ■ 23/03/1995