Frères et sœurs, une maladie d’amour

Marcel RUFFO, Fayard, 2002, 306 p.

On ne choisit pas ses frères et sœurs : ils nous sont imposés. Les propos de l’aîné sur son plaisir de voir sa famille s’agrandir n’est, le plus souvent, qu’un placage sur le discours et le désir des parents. En réalité, ce qui le tracasse, c’est d’avoir à partager leur affection. A l’arrivée du cadet, il délimite son territoire pour protéger ses prérogatives. Il devient un excellent comptable du nombre de câlins et de baisers reçus par le petit dernier. Il peut exprimer des mots très durs à son encontre allant jusqu’à fantasmer la disparition du gêneur. Il peut même parfois avoir des gestes agressifs : pincements, bousculades, cheveux tirés … Il lui arrive fréquemment d’opter pour des comportements régressifs : instabilité, nervosité, irritabilité, hyperactivité, demande de biberon ou du sein, énurésie … C’est que devenir aussi petit que le dernier né, c’est tenter de rétablir ses chances dans la lutte pour le cœur de ses parents. Cette jalousie, pour naturelle qu’elle soit, s’exprime d’une façon douce ou féroce, selon la capacité du plus grand à accepter un seuil de tolérance et de frustration. Mais ce n’est pas là, pour autant, de la méchanceté : il y a beaucoup d’ambivalence haine/amour de l’aîné pour son puîné. Pour autant, cette jalousie peut fort bien devenir toxique tant pour le développement de l’enfant que pour la famille. Mais, la réprimander, c’est prendre le risque d’amener l’aîné à la camoufler. La laisser s’exprimer, c’est l’aider à la gérer. En fait, cela se soigne par la tendresse : quelle que soit l’âge du plus grand, il doit être rassuré quant à l’amour qui lui est porté. Tous les parents ont un enfant préféré : c’est celui dans lequel il retrouve un trait (physique ou de caractère) auquel ils s’identifient ou au contraire qu’ils rejettent. Là aussi, il est essentiel de savoir reconnaître ces préférences, afin de pouvoir les corriger. S’ils savent ne pas stigmatiser, ni commettre d’injustice, cette jalousie peut être sublimée. La présence de la fratrie n’a pas que des inconvénients. Elle constitue un fantastique moyen de socialisation. Elle permet de mieux se définir dans le jeu de la différence et de la ressemblance. Elle est aussi un lieu de compétition : les petits font tout pour égaler les plus grands qui, eux-mêmes, tentent de préserver leur suprématie. Dans six cas sur dix, les performances scolaires, qu’elles soient d’ailleurs bonnes ou mauvaises, sont à relier aux jalousies au sein de la fratrie. « La fratrie est une maladie d’amour faite de rivalité et de complicités » (p.271) Si  c’est entre l’âge de 7 ans et l’âge de 14 ans que la distance est la plus grande (activités différente, agacement réciproque), il n’est pas rare de voir naître une très grande connivence (pour autant qu’elle aie pu se construire dès la petite enfance). Au point qu’une idéalisation trop forte d’un frère ou d’une sœur amène à le (la) rechercher au cœur même de la relation de couple.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°651  ■ 30/01/2003