Être père, malgré tout. Univers carcéral et parentalité

DUFOURCQ-CHAPPAZ Christiane, Éd Chronique Sociale, 2011, 192 p.

Si, dans notre pays, l’on compte du côté des enfants pas moins de 80.000 ayant un parent incarcéré (essentiellement le père), du côté des adultes emprisonnés, 73% ont des enfants encore mineurs. La prison ne constitue donc pas une sanction uniquement pour la personne privée de liberté. Sa famille subit aussi le coût psychologique, économique et social de son incarcération. Christiane Dufourcq-Chappaz nous propose ici un écrit passionnant qui fait le point sur la question du maintien des liens du détenu avec sa famille. Et tout d’abord, est-il souhaitable de rester parent, malgré la captivité ? La réponse de l’auteur est nuancée. Le choc carcéral vient souvent percuter des personnalités vulnérables, aux constructions identitaires fragiles, souffrant d’une mauvaise image de soi et marquées par la peur de l’abandon et du rejet. Le parcours précédent la peine de prison a souvent été instable et parsemé d’échecs successifs. La vie de famille a tout autant été confrontée aux ruptures et à la recomposition. Cette réalité complexe n’est pas toujours propice au maintien des relations familiales. Certains pères refusent de rencontrer leur enfant au parloir ou même de leur écrire, tant la blessure narcissique est forte. Ils ne veulent pas donner d’eux l’image d’un parent diminué, humilié ou honteux, parfois peu enclin à parler. D’autres pères ont désinvesti leur rôle, voire même ne l’ont jamais investi. Mais, il y a aussi des situations où il est possible de renouer le dialogue entre l’enfant et son parent, sans que pour autant on ne puisse le décréter. Le temps s’est, en effet, parfois arrêté sur une représentation idéalisée. Plus le père se bloque sur l’image qu’il s’est faite de son enfant, plus la confrontation à la réalité peut être source d’une cruelle désillusion et d’une douloureuse déception. D’où l’intérêt du groupe de soutien à la parentalité mis en place à la maison d’arrêt de Gradignan en Gironde, dont l’auteur nous propose une description méticuleuse et précise. Son analyse est le fruit d’une observation attentive, sur huit années de fonctionnement. Chacun des dix participants signe un contrat d’adhésion, s’engageant sur une durée de trois mois. Le lieu, où il s’inscrit donc volontairement, a comme première fonction de favoriser le partage des questionnements et l’écoute de chacun. Il sert de catalyseur aux joies et aux déceptions vécues lors des parloirs ou à l’occasion des courriers reçus ou attendus. Mais le respect est de mise, tant par rapport à ceux qui se livrent que ceux qui se taisent ou affichent leur pudeur. Cet espace est aussi un atelier de fabrication manuelle d’objets à destination de l’enfant. Les pères s’y appliquent, travaillant avec soin, cultivant ainsi leur paternité à partir du désir d’investir leur fonction.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1058 ■ 12/04/2012