Pourquoi les pères travaillent-ils trop?

GIAMPINO Sylviane, Éd Albin Michel, 2019, 280 p.

Trois pères sur dix ne prennent pas leur congé paternel à la naissance de leur enfant. Pour quelles raisons le travail pèse-t-il tant sur les autres sphères de leur vie?

Les discours, les désirs et la sensibilité des hommes ont changé depuis la fin du siècle dernier. Subsiste néanmoins un déséquilibre dans la prise en charge tant de la gestion de la maison que des soins parentaux donnés aux enfants. A l’image de ces 72 % des tâches ménagères encore assurées par les femmes.

De plus en plus de lois permettent pourtant de mieux articuler vie professionnelle et vie privée. Les femmes sont volontiers entrées sur le territoire des hommes, n’hésitant pas à passer de la sphère familiale à la sphère professionnelle. Les hommes évitent encore à parcourir le chemin inverse.

Le statut des hommes-pères a certes évolué. Il est parti de Monsieur gagne-pain jusqu’au « stay at homme dad » (hommes à la maison), en passant par le papa-poule et le père hélicoptère (qui surveille de loin ses enfants). Mais, aujourd’hui encore, face aux enjeux professionnels, les mères se demandent « comment je vais faire avec les enfants ?» là où les pères disent « comment je vais faire avec mon travail ? » !

La raison principale est à chercher du côté de la résistance des stéréotypes masculins. Les normes de virilité qui fragilisent les hommes n’ont guère changé : être un gagnant, ne jamais montrer de failles, se placer à distance du féminin. De tout temps, les hommes ont évalué leur masculinité à l’aune de leur travail, de leur puissance et de leur rapport aux femmes. Aux femmes le courage physique face à l’enfantement. Aux hommes le courage face aux douleurs engendrées par le travail.

La famille pourrait bien être un espace de repli pour les pères, pouvant y trouver d’autres valeurs que celles de leur travail. Mais la contamination a opéré. Les parents d’aujourd’hui n’élèvent plus leurs enfants, ils les stimulent et les coachent. Ce qui l’emporte, c’est avant tout de les préparer à se confronter à la compétition de la vie.

La parentalité a traditionnellement été enfermée dans l’idéalisation de l’autorité du père et de la douceur des mères. Dans le même temps, elle n’a cessé d’être mise en cause. Au procès contre les mères pathogènes du XXème siècle a succédé celui des pères absents du XXIème siècle.

De plus en plus d’hommes et de femmes se sentent à l’étroit face aux attendus sociétaux quant à leurs comportements et sentiments. Les différences entre les cerveaux masculin et féminin sont souvent évoquées pour justifier les écarts naturels entre les compétences de deux sexes. A l’inverse les études de genre affirment que les représentations du masculin et du féminin sont des constructions variant selon les lieux et les époques. Pourtant, il est aussi absurde d’affirmer la primauté du corps biologique que son absence dans la représentation sexuée.

Certes, l’existence de deux natures spécifiquement masculine et féminine relève de l’illusion. Mais les discours portant sur l’indifférenciation pourtant réputés progressistes mènent à la même impasse que ceux prônant la distinction souvent stigmatisée comme réactionnaire.

En tant que psychanalyste, l’auteure en appelle à Freud. Et plus particulièrement à son concept de bisexualité affirmant que chacun(e) d’entre nous possède une part de féminité et de masculinité, en proportion à chaque fois différente selon les personnes. Critiquée pour sa naturalisation des comportements genrés ou soupçonnée d’alimenter le fantasme d’androgynéité qu’elle engendre, cette piste apparaît néanmoins séduisante pour contrer la guerre des sexes ou leur prétendue fusion.

Quant au rôle de protection/sécurisation et celui d’ouverture et de dépassement de soi, l’auteure prend bien garde de ne pas les genrer, se contentant d’affirmer que leur articulation est essentielle que ce soit au sein de chaque parent ou entre eux.