Je viens de toutes mes enfances

SALOMÉ Jacques, Albin Michel, 2009, 309 p.

Émouvants parfois, hilarants souvent, sensibles toujours, les souvenirs d’enfance que nous livre ici Jacques Salomé ne se limitent pourtant pas à un simple retour nostalgique sur les débuts d’une vie. Fidèle à la soixantaine d’ouvrages qu’il a déjà publiés, le célèbre psychosociologue applique les axiomes qu’il n’a cessés de démontrer tout au long de sa carrière. Persuadé que notre devenir d’adulte plonge ses racines au plus profond de nos premières années d’existence, il nous invite à rechercher dans nos enfances ce qui a fait de nous ce que nous sommes. Dès lors, écouter un enfant c’est d’abord entendre ce qu’il a à nous dire de lui-même, mais c’est tout autant, être attentif à ce que cela vient faire résonner en nous de notre propre enfance. Ce qu’il illustre à travers un parcours de vie qui n’a que peu à voir avec un conte de fée. Si certains naissent avec une cuillère en argent dans la bouche, il n’en est pas de même pour l’auteur qui pour n’avoir jamais manqué d’amour maternel, n’en a pas moins gardé le goût des épreuves qui ont baigné ses premières années. Ses 18 premiers mois, il les passe à la pouponnière de l’assistance publique. Sa mère, elle-même abandonnée à la naissance, s’est trouvée fille-mère et a du attendre ses 21 ans pour « sortir de la DASS », avec son bébé. A 9 ans, le diagnostic d’une tuberculose osseuse le contraint à rester plâtré 54 mois loin de sa famille au sanatorium de Font Romeu. Mais, pas de place ici pour un quelconque misérabilisme ou un apitoiement affecté. Jacques Salomé n’est pas de ceux qui renient leur passé, au prétexte d’avoir réussi leur vie adulte. Au contraire, il l’assume. A preuve un récit qui restitue la joie de vivre d’un enfant au caractère particulièrement vif et malicieux. Les frasques qu’il rapporte sont particulièrement cocasses et savoureuses. Si le petit Jacques ne brille guère par ses résultats scolaires, il devient vite le spécialiste des mensonges qu’il vend à ses camarades de classe contre quelques billes : son imagination fertile lui permet de proposer des excuses à resservir tant à l’instituteur qu‘aux parents, pour éviter les punitions. Promu enfant de chœur, il fait de l’église son terrain de jeu, n’hésitant pas à piller les troncs destinés à recueillir l’obole des paroissiens destinée aux pauvres : après tout, n’est-il pas lui-même dans la misère ? Devenu l’aîné de sa fratrie, il ira proposer à la voisine aux grossesses infructueuses, de lui vendre ce bébé qui, à son goût, prend trop l’amour de sa mère. A travers ces souvenirs qui dépassent les simples anecdotes, Jacques Salomé réussit à nous fait entrer dans l’universalité du monde à la fois merveilleux et terrible de l’enfance.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°964 ■ 11/03/2010