Les conspirateurs du silence

MAESO Marylin, Éd. L’Observatoire, 2018, 170 p.

Les média et les réseaux sociaux nous offrent, depuis quelques années, le spectacle d’une lente et douloureuse métamorphose d’un débat qui se mue en polémique agressive. Ces altercations sont à l’échange d’idées ce que le parlement est au champ de bataille, la rhétorique à la tactique militaire et la maîtrise oratoire au tank. Les préjugés se substituent à la rencontre, le procès d’intention au travail exigeant de la pensée et la réaction viscérale à la réflexion. L’invective, l’injure, la diffamation, la mauvaise foi … se démultiplient pour disqualifier le discours de son interlocuteur et le caricaturer ; pour le délégitimer, sans lui laisser l’opportunité de se faire entendre. Mon opinion devient la seule vérité admissible. Tout retour critique est contre le bon sens ou l’évidence dont je suis le dépositaire et le héros. Un monde sans nuance, ni bémol constitue un ensemble clos de scénarios préétablis et de prismes interprétatifs. Dans cette réalité fantasmée et réduite à des généralisations pétrifiées, tout se tient, tout est signifiant, les êtres et les choses correspondant exactement à l’idée qu’on s’en fait. Cet entre-soi enferme dans la défense acharnée et butée de convictions intangibles. Ne pas être aveuglément et inconditionnellement avec nous, c’est être contre nous, faire le jeu de l’ennemi, au mieux par naïveté, au pire par désir inavoué de trahir. Il faut faire taire toute voix discordante. Pourtant, de telles postures ne constituent pas une fatalité. On peut faire le choix d’accueillir des opinions différentes et discordantes. C’est une richesse et une manière de se confronter à l’épreuve de l’altérité. C’est ouvrir une porte sur d’autres intériorités. C’est partager des arguments et accepter de se soumettre au débat contradictoire. C’est apprendre de l’hétérogénéité. 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1314 ■ 29/03/2022