Le dossier Freud: enquête sur l’histoire de la psychanalyse

Mikkel BORCH-JACOBSEN, Sonu SHAMDASANI, 2006, Les empêcheurs de penser en rond, 506 p.

Qu’est-ce qui a donc poussé les successeurs de Freud à ne rendre ses archives consultables qu’entre 2013 et 2102 ? Ont-ils peur de voir s’effondrer les fables sur lesquelles s’est construite l’une des théories en apparence les plus fécondes du XXème siècle ? C’est que la critique historique pourfend les légendes en abordant tout fait comme une construction problématique et non comme un a priori intangible. Il en va ainsi du mythe d’un Freud qui, isolé intellectuellement, aurait créé de toutes pièces une théorie originale du psychisme. La libido, la sexualité infantile, la perversion polymorphe, les zones érogènes, la bisexualité, la régression, le refoulement primaire, le meurtre du père primitif, les fantasmes originaires, l’instinct de mort ne sont pas des concepts sortis de son génial cerveau, mais des recherches menées avant lui par des centaines de magnétiseurs, hypnotiseurs, romanciers, philosophes, psychologues et psychiatres. Freud était un lecteur vorace et multi langue de la littérature scientifique de son époque, constamment aux aguets de ce qui se faisait de nouveau dans les champs les plus divers. Mais reconnaître son œuvre comme une synthèse hautement originale, c’est priver la psychanalyse d’une originalité qui la rendrait fondamentalement différente du reste de la psychologie. Dans aucune autre discipline, un corpus théorique aussi important n’a été édifié sur une documentation publique aussi réduite de données brutes. L’examen critique de la poignée de cas concrets rapportés par Freud démontre que celui-ci n’hésita jamais à modifier ou taire des détails, à prendre des libertés avec la chronologie ou encore à faire état de résultats thérapeutiques imaginaires pour valider ses hypothèses. Les interprétations psychanalytiques sont invérifiables et arbitraires. La généralisation systématique de certaines observations, l’objectivation outrancière des conjectures et des schémas ont transformé une imagination fertile en dogmes. Freud affirmait être un simple collecteur de faits empiriques : il se serait contenté d’écouter ce que ses patients lui disaient. Il ne faisait en réalité que leur suggérer ses propres interprétations hautement spéculatives. S’ils ne les acceptaient pas, leur résistance démontrait le blocage de leur propre inconscient … et la pertinence de son analyse ! La longue liste des schismes internes à la psychanalyse le démontrent : on ne pouvait que se soumettre aux théories du Maître au risque de se voire exclu et d’être accusé des pires motifs inavouables : duplicité, incompétence, voire pathologie mentale ! Que reste-t-il de la psychanalyse ? Une corporation internationale basée sur le système de la franchise : toutes sortes de filiales peuvent être créées, à condition qu’elles reproduisent fidèlement les techniques d’analyses mises au point par le propriétaire fondateur. Aucune validation scientifique n’est nécessaire puisqu’elle s’auto engendre par scissiparité, en produisant toujours plus de patients-disciples qui sont seuls légitimés à se prononcer sur leur méthode.

 

Jacques Trémintin -  LIEN SOCIAL ■ n°829 ■ 22/02/2007