Destins d’enfants - Entretiens - Dolto

Françoise Dolto, Nazir Hamad, Gallimard, 1995, 159 p.

Comme il arrive souvent aux écrivains célèbres, l’édition de leurs ouvrages ne s’arrête pas avec leur mort. Françoise Dolto nous a quittés en 1988. Parution posthume, ce petit recueil de conférence et d’entretiens présentés par Nazir Hamad, tout à fait représentatif de la pensée de Dolto. Ces textes nous intéressent tout particulièrement, nous les travailleurs sociaux. En effet, la célèbre psychanalyste estima en 1976 que ses prestations radiophoniques (« lorsque l’enfant paraît ») étaient incompatibles avec une pratique libérale. Elle décida donc ne plus se consacrer qu’à des enfants reçus dans une pouponnière de l’Aide Sociale à l’Enfance. Pendant plus de dix ans, elle a donc côtoyé les personnels tant socio-éducatifs que psychologues de ce service. Les propos présentés ici leur sont directement destinés.

Comme toujours, chez Dolto, on trouve démonstrations passionnantes et d’autres qui sont pour le moins irritantes.

Leçon fort intéressante que celle qui rappelle la nécessaire répartition des tâches  entre les différents intervenants auprès de l’enfant qui doivent se compléter sans se juger.  De même pour la dénonciation du danger couru par les enfants quand leurs parents les chargent de réparer les ratages de leur propre vie. L’enfant ne doit rien à ses parents, ce  sont ces derniers qui doivent lui être reconnaissants de leur permettre de ne pas mourir complètement. Pertinente aussi la réflexion sur le mensonge: « si on exige d’un enfant qu’il ne mente pas, il faut qu’il devienne imbécile, parce qu’un enfant intelligent n’en est pas capable » (p.17). Nous continuons à la suivre dans ce regard qu’elle porte sur les éducateurs qui ne doivent pas soumettre les enfants à leur loi ni à leurs désirs: « ils sont à son service et n ‘ont pas à s’aider eux-mêmes dans l’enfant » (p.156).

Là où Françoise Dolto touche vraiment à l’universel, c’est quand elle explique: « il ne faut pas établir de règlements généraux quand on a affaire au sujet humain. Chaque cas est particulier, il ne faut pas fixer les choses trop tôt (...) l’appréciation doit se faire en fonction de chaque individu »(p.86) Il est simplement dommage que l’auteur enfreigne si souvent ses propres préceptes en s’aventurant dans des exercices d’équilibre parfois douteux, fréquemment arbitraires et en tout cas jamais démontrés.

A preuve, cette solution proposée dans des cas d’inceste: le départ de la fille tentatrice de la maison: « c’est à elle de ne pas se mettre sous les yeux de son père » (p.57). Autre affirmation, le lecteur sera heureux d’apprendre que « l’enfant n’aime que momentanément » (p.98). D’où, bien sûr, la nécessité d’instaurer une multiplicité de familles de marrainage (afin que le jeune puisse changer tous les week-ends). Autre illustration, puisque l’enfant placé, séparé de ses parents est vivant cela « prouve qu’il les aime et qu’eux l’aiment aussi, même s’ils ne se connaissent pas » et encore plus outrancier « les enfants qui n’ont pas leurs parents géniteurs sont les seuls à qui on peut affirmer qu’ils sont les enfants de l’amour »(p.108). Enfin chez le bébé, « le sein dans la bouche produit l’idée du pénis dans l’anus ou dans la bouche » (p.119). Toutes choses auxquelles Françoise Dolto nous a toujours habitués, et qui outre-tombe continueront à ravir les uns et crisper les autres.

 

Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°373  ■ 14/11/1996