Le crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne

Onfray Michel, Grasset, 2010, 613 p.

Pauvre Freud ! La statue du commandeur vacille et les psychanalystes se déchaînent, ne sachant que jouer aux vierges effarouchées, drapées dans la toge de la vertu, en considérant toute critique comme une offensive du libéralisme contre la seule pensée émancipatrice digne de ce nom : la leur. Il est vrai que Michel Onfray n’y va pas de main morte. Décryptage de l’élaboration d’un corpus conceptuel qui ne fait aucune concession à l’hagiographie dominante, analyse humaine d’un personnage marqué par son temps et ses préjugés, mise en évidence des tricheries, manipulations, mensonges d’un idéologue défendant, toutes griffes dehors, sa doctrine, le père de la psychanalyse ne sort guère grandi de cet essai au vitriol qui met à nu les ressorts de la construction d’un dogme qu’il a été longtemps sacrilège de contester. Et pourtant, on y découvre un Freud ne doutant jamais de l’excellence de la méthode qu’il investit dans le moment. Tenté en 1885-1886 par l’injection de cocaïne, en 1886-1890 par l’usage de l’électrothérapie, en 1887-1892 par l’hypnose, avant de s’intéresser aux bienfaits de la balnéothérapie, à l’imposition des mains, au massage de l’utérus et à l’opération du nez, la pensée du maître aura, pour le moins, épousé ses diverses variations existentielles. Mais jamais il ne reconnaîtra les théories fantaisistes ou extravagantes qu’il a pu défendre comme autant d’erreurs, de contradictions, de revirements, ou d’hésitations. Non, notre mentor et ses thuriféraires nous expliquent qu’il s’agit là d’une progression linéaire vers la découverte révolutionnaire de la place centrale de l’inconscient. Partant de son auto-analyse, Freud considère que ce qu’il a vécu, tous l’ont vécu, de toute éternité et jusqu’à la fin des temps. Ses intuitions, il les transforme en vérité universelle. Sa démarche se fonde sur la parole assertive : affirmer avec force et conviction un concept suffit à prouver sa justesse. L’approche scientifique émet une hypothèse et tente de la vérifier par des expérimentations reproductibles. Freud, lui, assène des postulats. Peu importe s’ils apparaissent, à première vue, comme autant de causalités magiques ou de correspondances symboliques arbitraires, puisque tout chose est forcément autre chose que ce qu’elle semble être. La meilleure preuve de leur pertinence n’est pas tant qu’on les accepte que lorsqu’on s’y oppose : cela prouve la force du refoulement qui amène refuser leur exactitude. Comme toute approche thérapeutique, la psychanalyse n’obtient de résultats que s’y l’on y croit. Et sa prétendue vérification clinique n’a guère plus de validité que celle attestée par les patients des chamans ou le bureau médical de Lourdes. Démonstration implacable sur Freud et ses successeurs, cruelle mais combien salutaire. 

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°981-982 ■ 15/07/2010