Sous le signe du lien
Boris CYRULNIK, Hachette, 1990, 319 p.
L’étude du comportement, ce qu'on appelle l'éthologie, s'avère de plus en plus comme une discipline unifiée que l'on souhaite étudier l'homme ou l'animal. C'est du moins la démonstration que Boris Cyrulnik fait dans son livre qui fourmille d'exemples pris successivement chez l'un et l'autre. L'exemple le plus frappant est peut-être celui de l"'empreinte".On a pu repérer une période précise différente selon les espèces, juste après l'accouchement, au cours de laquelle se déclenche le processus d'attachement de la mère pour son petit.
Si une perturbation a fait rater ce moment à la mère, on assiste à une crise définitive du lien, celle-ci ne reconnaissant pas son petit, le rejetant, voire l'attaquant.
Il n'en va pas autrement pour l'être humain, alors que la majorité des déprimés adultes ont connu une période de séparation précoce.
L'absence d'empreinte provoque alors chez le bébé son investissement vers le seul objet d'attachement stable restant : lui-même (balancement, auto-agression bien décrits par Spitz dans l'Hospitalisme).
Toutefois, et c'est là la différence avec les animaux, la mère du petit d'homme peut réparer les troubles survenus : parce que le bébé est imaginé avant d'être perçu et parlé avant d'être entendu ; il est aussi possible de revenir sur les événements passés, même vieux de 20 ans.
Ce serait cette empreinte qui provoquerait chez l'animal l'évitement sexuel mère/petits qui chez l'homme correspond à la prohibition de l'inceste.
Ce bébé n'est ni la "bonne ou mauvaise graine" imaginée au XIXe siècle, ni la « cire, molle et vierge" conçue dans la première moitié du XXe ! En fait, il est compétent bien avant de naître. Il acquiert au sein de la grotte sombre, chaude et sonore de l'utérus tout autant la vue (contrairement à la légende qui voudrait qu'il naisse aveugle), que l'audition, l'odorat et même le goût (les mamans du sud de la France grande consommatrice d'aïoli, voient leurs nourrissons réagir avec plaisir à ce goût très particulier, contrairement à leurs congénères du nord du pays) ! Toutes ces informations contribuent donc au développement de l'embryon.
De même, tout comme on peut observer une véritable linguistique chez les goélands (signaux syntaxiques visuels, posturaux, gestuels, sonores et olfactifs), la même constatation peut être faite chez l'homme avant l'accès à la parole. Ainsi, les cris du bébé seront interprétés bien différemment selon leur modulation l'adulte verra dans les basses fréquences, un signe de faim, et dans les hautes, la manifestation de la souffrance.
Quant aux contacts physiques, on assiste à une véritable fantasmatique du geste liée à la fois au sexe de l'enfant et du parent : les garçons sont pris de face, les filles latéralement. Les mères vocalisent là où le père touche, pince et s'adonne au "lancer de bébé" !
Ouvrage d'une grande richesse et d'une grande culture, sa lecture procure, au-delà de l'apport théorique, un vrai plaisir intellectuel.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°272 ■ 08/09/1994