Des idées reçues en psychologie

Jérôme KAGAN, Odile Jacob, 2000, 288 p.

Ici, la première étape à franchir est celle de l’économie générale de l’ouvrage. L’auteur est incontestablement un homme d’une grande culture. Son écrit qui est construit autour d’un petit nombre de démonstrations, fourmille d’une myriade d’exemples, d’anecdotes, d’illustrations, de souvenirs personnels, de résultats de recherche etc ... qui sont sensés venir éclairer son raisonnement. L’inconvénient majeur réside dans le fait que ses énumérations suivent le rythme approximatif de la « Charge de la brigade légère » et qu’il ne s’arrête jamais vraiment  pour se poser et tenter d’approfondir un tant soit peu ce qu’il évoque. Pour autant, le lecteur, pour qui, cette promenade intellectuelle au pas de course, ne vient pas perturber la digestion, prendra sans nul doute un vrai plaisir. Que nous explique Jérôme Kagan ? Que les sciences humaines et plus particulièrement la psychologie s’autorisent un peu trop souvent à affirmer des postulats sans se soucier de leur vérification. « Malheureusement, l’intime conviction qu’une idée est juste reste un guide peu fiable, lorsqu’il s’agit de nous conduire à la vérité. » (p.198) C’est vrai que son propre écrit fourmille de « je crois », « j’en ai la conviction », « le bon sens montre que »  et autre « il y a de fortes chances que » montrant ainsi qu’il tombe dans le même travers que celui qu’il dénonce. Mais, ce qu’il démontre est finalement, pour l’essentiel, d’une grande pertinence. Ainsi, de la démarche qui consiste à attribuer aux autres des traits de caractère stables et généraux alors que nous expliquons notre propre caractère par des conditions particulières. Tout au contraire, on ne peut expliquer la complexité de l’être humain qu’à partir de facteurs multiples et diversifiés qui intègrent tant le passé que le présent. La seconde idée reçue fustigée par l’auteur concerne ce déterminisme infantile qui prétend que tout se joue dans les deux premières années de l’existence : or, les structurations qui en résultent sont soumises à une longue série d’expériences répétées tout au long de l’enfance et de la jeunesse qui peuvent venir redresser ou au contraire invalider les acquis de cette première étape. Dernière cible choisie : la théorie selon laquelle, la motivation universelle de l’être humain serait la recherche du plaisir sensoriel. L’auteur affirme que cette quête se trouve plutôt du côté du refus de la prise de risque. Ces démonstrations le place d’emblée en opposition « aux hypothèses liées aux fondements philosophiques des sciences sociales et comportementales contemporaines » (p.21)  Jérôme Kagan revendique sa démarche fondamentale, n’hésitant pas à aller à contre courant à propos de  concepts tels la peur, l’angoisse, la conscience, l’intelligence ou le tempérament, mais aussi de ce qu’il appelle le « mythe » de l’attachement ou encore l’acquisition du sens moral. Un ouvrage décapant qui a au moins le mérite de relativiser nos certitudes.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°582 ■ 28/06/2001