Le toucher en psychothérapie

Pascal PRAYEZ, épi, 1994, 272 p.

C’est à partir de la double compétence de kinésithérapeute et de psychothérapeute que Pascal Prayez tente ici de concilier deux approches que l’usage présente comme incompatibles : la psychanalyse et le toucher. Le contrat en thérapie, explique-t-il, se base sur une inégalité de départ. D’un côté, l’usager est en plein mal-être. De l’autre, l’intervenant est censé posséder un savoir susceptible d’améliorer son équilibre de vie. Le transfert qui s’établit alors entre eux peut passer par la passion. Mais subsiste l’inégalité fondatrice : si la relation devait déboucher sur une aventure amoureuse, il y aurait utilisation du patient comme instrument du seul plaisir du thérapeute. Ce principe renforcé par la tradition occidentale qui limite quasiment le toucher à la sexualité a amené à considérer tout contact physique comme incestueux. Ainsi, les personnels de santé ont-ils pour usage de se rigidifier dans une froideur et une précision technique quand ils sont amenés à pratiquer les massages corporels. Il s’agit pour eux de se protéger en instaurant une asepsie émotionnelle. Pourtant, “  l’envie de toucher, tenir, presser, caresser, le besoin d’être porté, soutenu, ressentir des contacts cutanés doux n’ont rien de ’’sexuel’’ en terme physiologique, mais participe plutôt au besoin de sécurité lié à l’attachement ”(p.242). Diverses écoles sont venues réhabiliter le contact physique dans sa portée humanisante. Que ce soit les massages californiens ou l’haptonomie, l’objectif visé est bien d’entrer en contact avec l’autre par le biais d’une présence affective riche d’écoute et de tendresse. Pour Pascal Prayez, l’interdit du toucher en thérapie est paradoxalement à l’origine de l’érotisation et des fantasmes, alors que son utilisation permet au contraire de dégénitaliser la relation. Qui plus est, le toucher ne fait qu’amplifier en le rendant visible un mouvement affectif et émotionnel qui se joue traditionnellement plutôt sur la scène intérieure. La séduction de la part du thérapeute n’est perverse que lorsqu’elle est dirigée vers sa seule satisfaction libidinale. Quand elle est utilisée au bénéfice de l’usager, elle peut être structurante : “ cette séduction qui n’attend rien, qui ne prend pas, qui écoute et respecte, s’inscrit dans une perspective morale dont il est possible de parler en terme de justice et d’équité ” (p.251). Quant à la sollicitation tactile, elle peut, elle aussi, être sécurisante et contenante quand elle est enveloppante et s’adresse à l’ensemble du corps du sujet. Pour ce faire, il faut que l’intervenant soit à l’écoute de ses propres mouvements pulsionnels et apprennent à les contrôler. Car c’est bien dans l’intervention juste du thérapeute, ni dans le trop (comportement intrusif), ni dans le trop peu (distance physique,  fuite de l’implication et attitude psychique défensive) que la proximité et les contacts corporels peuvent alors s’instaurer en même temps que la distance  symbolique adéquate. Cette démonstration est valable pour la psychothérapie. En ce qui concerne le champ de l’action socio-éducative, l’argumentation de Pascal Prayez prend une résonance toute particulière et apporte un certain nombre de réponses pertinentes à notre pratique quotidienne.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°445 ■ 11/06/1998