Vivre la séparation

Yves PRIGENT, Editions Desclée De Brouwer, 1998, 139p.

La séparation est consubstantielle à l’existence humaine. Il y a cette séparation liée à l’amour : l’attente, la distance, le suspens des retrouvailles le font exister et vibrer, lui donnant tout son sens. Il y a la cassure brutale de la mort d’un proche qui provoque une brèche, un gouffre, un pan de vie qui s’effondre. Elle montre et mesure l’intensité du lien d’attachement. Mais, c’est aussi la perte d’un emploi qui crée une blessure dans la conscience de soi-même, tant ce travail peut constituer l’essentiel des bases identitaires du sujet. L’attitude que l’adulte adopte tout au long de sa vie face à de telles ruptures dépend de la maturation psychique intervenue chez le petit enfant et de sa capacité à « séparer les générations, les sexes, l’immédiat et le lointain, le dit et le non-dit, la connaissance de soi et l’usage de la subjectivité » (p.55). La destinée humaine étant marquée par la nécessaire succession de pertes et de mise à distance, des réactions pathologiques telles que l’angoisse de séparation ou les états de panique face à la déprivation dénote une fragilité dans les aptitudes à instaurer une intimité chaleureuse, un élan intérieur, une vie personnelle et subjective. L’absence des procédures habituelles de projet, d’accumulation des moyens, d’élaboration des processus d’acquisition laisse la place aux passages à l’acte sans réflexion : vol, viol, violence. La survie face aux épreuves de la vie implique la nécessité de continuer à se représenter ce qui s’est éloigné et à garder le contact avec ses « bons objets » internes gages d’un jeu dialectique assumé positivement entre « attachement et lien, intrication et désintrication, fusion et défusion . » Car, aussi douloureux soient-ils, les moments de ruptures sont aussi indispensables à l’équilibre de l’existence que sont synonymes de dépérissement et d’extinction les mécanismes de fusion, de confusion, d’indifférenciation et d’homogénéisation. La vie est avant tout basée sur l’union des contraires, la mobilité et la différence féconde. L’antagonisme dynamique constitue ce qui fait avancer, progresser et évoluer.

Ce véritable hymne à la séparation, cet éloge de la  différenciation que nous propose Yves Prigent permet de dépasser la souffrance et la douleur inhérentes aux blessures ainsi provoquées et de les considérer comme aussi des brèches positives et des ruptures structurantes. Ce psychiatre propose aux patients dépressifs qu’il accueille dans le service de l’hôpital de Pont- L’Abbé qu’il dirige un cadre architectural « doux et informe » aux couleurs pâles et aux meubles restreints, conçu pour donner aux malades « l’envie de se retirer à l’intérieur de lui-même, de se recentrer, de se ‘’séparer’’’ de ses occupations quotidiennes, de ses relations habituelles, de ses soucis extérieurs. » (p.110) Il s’agit bien alors de lui permettre reprendre contact avec les instances de lui-même et les intimités de son être.

 

                                                           Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°497■ 02/09/1999