Le génie de l’intuition. Intelligence et pouvoir de l’inconscient

GIGERENZER Gerd, Belfond, 318 p.

La philosophie nous a mis en garde, depuis l’antiquité, contre la connaissance sensible qui peut si facilement nous induire en erreur. La civilisation des mœurs nous a incités à nous méfier de nos émotions et de nos affects qui nous mènent trop souvent à des excès. La science nous a incités à nous détourner des superstitions et de la magie, en ayant recours à la rationalité. La sociologie nous prévient contre le sens commun et les opinions qui s’abreuvent de tant de clichés et d’idée reçues. Tout cela est bel et bon et il ne faut pas y renoncer. Mais cela n’empêche pas, parallèlement, de réhabiliter l’intuition que nous n’avons jamais cessée d’utiliser et qui joue un rôle essentiel dans notre vie. C’est ce que nous propose Gerd Gigerenzer, dans un ouvrage riche de statistiques, d’exemples et d’études qui démontrent la pertinence de ce ressort incontournable de l’espèce humaine. Une grande partie de notre vie mentale est fondée sur des processus étrangers à toute logique. Nous agissons, contre tout calcul rationnel, en privilégiant une réponse qui surgit instantanément et apparaît comme la seule qui s’impose à ce moment-là : c’est cela le mécanisme de l’intuition. Des expériences ont démontré que de telles réactions instinctives apportaient de meilleurs résultats que des comportements mûrement réfléchis. On pense volontiers que plus on a d’informations à notre disposition, plus on a le choix et le temps de les utiliser et plus on a de chance d’opter pour la bonne solution. Loin de permettre d’adopter les bonnes décisions, ces circonstances présentent le risque d’enfermer les faits dans un filet d’arguments « pour et contre » qui vont ne faire que paralyser le jugement. L’analyse est utile dans une démarche rétrospective. Mais, quand il s’agit de prévoir l’avenir proche, une stratégie complexe peut faire échouer l’acte décisionnel, le sujet étant paralysé par l’évaluation des nombreuses options qui s’offrent à lui. L’attitude qui consiste à se concentrer sur la meilleure raison d’agir permet d’identifier rapidement l’information utile. Les limites cognitives qu’impose l’instantanéité incitent à suivre ce que l’on connaît. L’heuristique de la reconnaissance qui donne la possibilité d’établir des inférences rapides, permet de se limiter à une bonne raison que l’on a d’agir, dans un sens plutôt que dans un autre. La psychologie évolutive qui explique les comportements contemporains, à partir des adaptations acquises au cours de l’histoire de l’espèce humaine, fournit une hypothèse explicative à ce fonctionnement de l’esprit. Nos lointains ancêtres avaient besoin de réagir d’une manière extrêmement rapide, afin de faire face au danger mortel qui pouvait les menacer. S’ils réfléchissaient posément à la bonne stratégie, ils se faisaient bouffer ! 

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1005 ■ 10/02/2011