Le grand mensonge: l’emploi est mort, vive l’activité!

Michel Godet, Fixot, 1994, 303 p.

Quand Godet nous en sert a la louche !      

A l’heure où le nouveau président et le nouveau gouvernement annoncent la couleur et présentent leurs différents programmes d’action, il est intéressant de se tourner vers ce qui semble constituer  certaines de leurs principales sources d’inspiration.

A la rentrée de septembre 1994, paraissait un ouvrage d’un spécialiste de la prospective, Michel Godet, au titre intriguant et un tant soit peu provocateur: « Le grand mensonge: l’emploi est mort, vive l’activité !». Les propos tenus tout au long de ces 303 pages sont très représentatifs du discours politique en vogue ces temps-ci.  A ce titre,  cela vaut vraiment la peine d’aller y voir de plus près.

En fait,  nous avons à faire ici à un mélange savant de constats et d’arguments séduisants pour une part et de propositions parfois fort éculées de l’autre.

Même le titre est trompeur: vouloir remplacer l’emploi moribond par  « l’activité » semble faire appel à une autre vision du monde qui dépasserait le salariat en y incluant pourquoi pas le temps libre ou  encore l’économie sociale. Mais rien de tel: outre le fait qu’ on ne trouve pas dans le livre l’ explication des termes ainsi utilisés, ce qu’ on découvre, c’est plutôt un néolibéralisme à la mode des années 90 certes, mais assez peu original. Jugeons-en plutôt !

Il y a tout d’abord, une présentation  qui constitue un état des lieux lucide et finalement pas si inintéressant que cela. La montée inexorable du chômage, qui est passé de moins de 400.000 avant 1973 à près de 4 millions aujourd’hui (si on inclut aux chiffres officiels la population bénéficiant du « traitement social ») doit être mis en parallèle avec l’augmentation dans le même temps du Produit Intérieur Brut de près de 60%. Dès lors, Michel Godet a raison de parler de « chômage d’abondance ».  Il propose d’ ailleurs un calcul saisissant: les 400 milliards de coût total de ce chômage (y compris les manques à gagner fiscaux et sociaux) pourraient permettre en théorie la création de l’équivalent de 4 millions d’emplois payés au SMIC.

D’autres Etats ont su mieux faire face à la crise: USA, Allemagne, Suède ont un taux de sans-emploi deux fois plus faible et ils ont créé 3 fois plus d’emplois (Royaume Uni) et 2 fois et demi pour l’Allemagne. Les  causes de l’échec de la politique française sont multi-factorielles. Il est vain de vouloir identifier une seule cause. Les analyses simplistes qu’ on entend ça et là ne sont pas efficientes: croissance trop rapide de la population active, coûts salariaux trop élevés, rigidité du marché du travail ... bien d’ autres pays dotés de ces mêmes avatars ont sur les surpasser. Il en va de même pour la fiction des délocalisations qui, si elles jouent localement, sont largement compensées au niveau national. La France a été le premier pays au monde en 1992 pour l’accueil des investissements étrangers. Qui plus est, alors qu’il importe des pays en voie de développement près de 100 Milliards de F., il exporte vers ces mêmes nations pour 174 Milliards de F.

Nos gouvernants ont opté successivement pour des politiques qui se sont toutes avérées chimériques:  assurer l’ indépendance énergétique (l’Allemagne et le Japon restent quant à eux toujours aussi dépendants et bien plus prospères), investir dans les nouvelles technologies aéronautiques et informatiques (alors que «ce sont les hommes et les organisations qui font la différence »), proposer une vague de formation généraliste ( 1 jeune sur 20 avait son BAC en 1950, 1 sur 5 en 1970, 1 sur 3 en 1985, 1 sur 2 en 1994 ... ce qui provoque un engorgement du système scolaire et une dévalorisation des diplômes). Pour Michel Godet, la compétitivité en terme de prix et l’agressivité commerciale ne sont pas toujours gagnants sur le marché. Elles sont parfois surpassées par la qualité de la prestation, le respect des délais, le service après vente, la qualité et la compétence du personnel ... cette « haute valeur ajoutée » qu’il appelle de ses voeux comme véritable solution économique.

Tout cela semble au demeurant fort sympathique et convainquant. Mais ce qui suit ressemble plus à ces vieilles ficelles qu’on sort de derrière les fagots.

Il y a d’ abord ce SMIC qui serait une « barrière à l’emploi non qualifié ». Rendez-vous compte si: depuis 1970, il avait suivi le coût de la vie, il serait aujourd’hui à 2300 F. Il n’a pas moins que doublé en 25 ans (les veinards quand même !)

Et puis  il y a ce RMI attribué comme cela sans contrepartie pour la société.

Ne parlons pas bien sûr de ces faux chômeurs tranquillement installés avec leurs allocations ASSEDIC.

Les immigrés eux sont deux fois plus nombreux au chômage que les français. Est-ce à cause du racisme ambiant qui leur ferme la porte des emplois au nez ou peut-être le meilleur parti qu’ils savent prendre de la protection sociale ?

Le travail féminin, lui, a augmenté de 66% en 30 ans: Michel Godet  se refuse à préconiser un salaire parental qui induirait le retour de la femme au foyer. Non, lui propose ... un salaire familial !

Quant à la retraite, il faudra reculer son âge, non pour une question de cotisations mais « qui ne souhaite continuer une activité, à son rythme, le plus longtemps possible ? »

Ah, j’allais oublier la sécu. L’auteur remarque que le nombre de médecins-spécialistes a doublé entre 1975 et 1990 ? Leurs revenus ayant augmenté de 14 % dans les années 80. Il va falloir donc penser à mutualiser certains risques (tels ceux liés à l’alcool, au tabac, à la moto et à la voiture) et à faire prendre en charge une plus grande partie des consommations de santé par leurs utilisateurs.

Remplaçons la progression salariale à l’ancienneté dans la fonction publique par  l’augmentation au mérite et bousculons un peu ces 6 millions d’emplois protégés: « il n’ y a pas de vie sans un minimum d’incertitude et de risque » (sic!). De toute façon le chômage ambiant ne peut se comprendre que par la trop grande protection dont certains bénéficient honteusement.

Chacune de ces assertions mériterait un long développement que je laisse le soin au lecteur d’improviser. L’avenir proche sera rempli de bonnes surprises, je le sens ...

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°311 ■ 15/06/1995