Une étrange dictature

Viviane FORRESTER, Fayard, Seuil, 2000, 223p.

Le lecteur que la harangue et le style déclamatoire ne rebutent pas pourra trouver ici le nouvel écrit de l’essayiste de « L’horreur économique ». L’auteur y déploie la même fougue et la même hargne contre ce libéralisme « qui démontre son incapacité à se gérer lui-même, à contrôler ce qu’il suscite, à maîtriser ce qu’il déchaîne. » Et de s’attaquer aux mythes véhiculés traditionnellement. La croissance serait à l’origine de l’emploi ? C’est justement elle qui en détruit le plus (et de citer à l’appui une longue liste des ces entreprises qui « dégraissent » alors même qu’elles annoncent un accroissement de leur chiffre d’affaire) !  La compétitivité permettrait de créer des richesses ? La recherche incessante du profit provoque une polarisation de toujours plus de misère d’une côté et de toujours plus d’opulence de l’autre. La solution résiderait dans la réduction des dépenses publiques ? Ces dépenses jugées superflues sont en réalité les seules à être indispensables, car créatrices de bien-être en matière d’instruction (l’école), de santé (les hôpitaux) ou de lutte contre les exclusions (travailleurs sociaux). La mondialisation ne laisserait que peu de choix ou de marge de manœuvre aux décideurs ? La globalisation est inéluctable mais ne nécessite pas la seule gestion libérale qui n’est qu’une des nombreuses façons de procéder. Ces fausses vérités ont amené à se résigner : il faudrait s’adapter aux effets du chômage, s’adapter aux conséquences de la compétitivité, s’adapter aux dérégulations économiques et aux délocalisations. Comme illustration du triomphe de cette politique, on nous brandit les Etats-Unis et leur 0,5% de chômeurs de longue durée. Ce que cache ce tableau idyllique, c’est la première place tenue par cette nation la plus riche du monde en ce qui concerne tant le pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté (19,1% contre 7,5% en France) que le degré de pauvreté humaine (incluant la pauvreté monétaire mais aussi des facteurs tels le taux d’illettrisme ou les chances de survie) : 16,5% de la population aux USA contre 11,8% en France (cf. Le Rapport mondial sur le développement humain publié par le PNUD en 1998). Ce dont il s’agit ici, c’est bien  de remplacer le chômage par la pauvreté. Emplois sous-payés, flexibilisés, morcelés en travaux précaires, voilà le véritable programme du libéralisme. Il est temps de réagir face à l’engluement que nous impose cette étrange dictature idéologique qui nous fait, petit à petit, considérer un choix de société des plus contestable comme une fatalité.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°560  ■ 18/01/2001