J’aurais préféré que l’on me tue...

Joël TROUSSIER, Presse de la Renaissance, 2002, 269 p.

Tout bascule un soir de décembre 1980 : Joël le prédateur, celui qu’aucune bagarre n’effraie, commet l’agression de trop. Il tue à coup de couteau. La peine de mort disparaissant peu de temps après, il est condamné à la perpétuité. Et c’est l’apprentissage de la prison, celle d’il y a 20 ans, quand le détenu n’était rien face aux surveillants qu’il ne fallait pas regarder dans les yeux et aux injonctions desquels il fallait répondre « Oui, chef ! », sous peine de passages à tabac. C’est aussi la confrontation aux codétenus, dont certains sont tellement démolis qu’ils tentent d’échapper à leur propre douleur en faisant souffrir leurs semblables. Et puis, c’est l’arbitraire permanent qui fait du prisonnier le jouet de l’administration : l’éloignement familial, les conditionnelles attribuées au compte-goutte, l’absence de moyens de défense face au prétoire (le tribunal interne), les abus et le racisme de certains gardiens, l’infantilisation. « Ma peine –« perpete ! »- attire tous les regards. Chacun raisonne, spécule, ergote sur ma capacité à résister. Les détenus sont plutôt compatissants. Les matons, en dehors de leur indifférence maladive, appuient là où ça fait mal : « reste tranquille, le temps est encore long...très long ! » (p.90). Un seul espoir auquel se raccrocher : la commutation de la peine en 20 années de prison. Elle peut l’être à date d’écrou (englobant donc la peine déjà accomplie) ou à date de décret (qui additionne les 20 ans à la peine déjà accomplie). Tout dépend de l’âge et du comportement général du détenu, de l’avis du service social et des psychiatres, du crime commis et son impact sur l’opinion publique, de la volonté et les preuves de réinsertion. En 1991, après plusieurs tentatives, la peine de Joël Troussier est enfin commuée, mais à date de décret : sortie programmée, en 2011 ! « Agé de 22 ans à mon entrée, il me faudra attendre la nuit de mes 53 ans pour espérer revoir la lumière. Pourquoi ne m’ont-ils pas tué ? » (p.167). Reste la conditionnelle. Joël Troussier propose à la mairie de Villeurbanne de servir de contre-exemple à la délinquance : aider les jeunes à ne pas chuter. Ajournement de la décision puis rejet. Permission exceptionnelle pour rencontrer les partenaires. Ce n’est pas rien de recruter un taulard condamné à perpétuité ! Et puis, le 25 juin 1999 : c’est le bout du tunnel. Depuis, Joël Troussier travaille comme éducateur sportif. Il est confronté à ces jeunes qui provoquent, intimident et testent pour déstabiliser l’adulte et le faire craquer. Il lui est même arrivé de s’entendre demander ce qu’il connaissait de la prison pour donner ainsi des leçons. « Je ne dénonce pas la société qui nous rejette. Je ne critique pas la justice et son bras armé, soucieux de veiller à l’ordre public (...) J’accuse la hiérarchie administrative d’avoir des passe-droits pour cogner, pour annihiler la volonté de s’en sortir » (p.176).

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°629 ■ 11/07/2002