Des hommes et des murs

PUEYO Joaquim, Ed. du Cherche Midi, 2013, 223 p.

Après avoir rendu toute une vie de bons et loyaux services à l’administration pénitentiaire, l’un de ses plus hauts fonctionnaires a décidé de témoigner. Longtemps laissé à l’état d’ébauche, il s’est enfin décidé à publier son livre. C’est qu’ayant fait valoir ses droits à une retraite particulièrement active -puisqu’il a été élu député en juin 2012- Joaquim Pueyo s’est trouvé libéré de son obligation de réserve. C’est avec de multiples détails qu’il décrit la longue carrière qui l’a amené à diriger pas moins d’une demi-douzaine de centres de détention. En se préparant en 1977, à la fonction de directeur d’établissement, l’auteur a d’abord vécu dans la hantise d’avoir à accompagner, lui le fervent abolitionniste, le cérémonial d’une exécution capitale. Aussi, est-ce avec un fort soulagement, qu’il accueillera l’abolition de la peine de mort, en 1981. Ses profondes convictions humanistes vont l’accompagner tout au long des responsabilités qu’il assumera trente cinq ans durant, l’aidant à faire face à une réalité bien cruelle qu’il ne cesse de dénoncer tout au long de son ouvrage. Car, s’il est une constante qui n’a fait que s’aggraver au fil du temps, c’est bien cette surpopulation carcérale privant les détenus de conditions décentes d’existence et empêchant les personnels pénitentiaires de concrétiser la mission de réinsertion sociale qui leur est dévolue. L’auteur dresse des portraits émouvants de certains détenus, montrant qu’au-delà du taulard, subsistent toujours l’être humain et sa destinée parfois tragique. Lui, le fils d’un républicain espagnol déporté avec la complicité du régime de Pétain, gardera sa pleine neutralité face à un Maurice Papon, dont il aura à gérer la détention, un temps. Jamais, il n’oubliera les situations dramatiques auxquelles il a été confronté, que ce soit les suicides de détenus, les viols entre prisonniers, la mort de deux d’entre eux dans un incendie qu’ils avaient provoqué ou la prise d’otage intervenue à la Maison d’arrêt de Fresnes, en 2001. Si Joaquim Pueyo se montre intraitable dans le maintien de l’ordre républicain face aux troubles provoqués par les détenus, il l’est tout autant face au passage à tabac perpétré par des personnels pénitentiaires qu’il n’hésitera pas à sanctionner, fait unique dans toute sa carrière. Le souvenir qui lui restera toujours est, sans doute, ce concert classique donné en détention, par un groupe de musiciens slovaques remportant un succès inattendu, l’un des détenus s’emparant de la baguette du chef d’orchestre pour diriger à son tour. Le témoignage de ce directeur est étonnant d’anecdotes et d’évènements montrant la complexité d’un univers carcéral refermé sur lui-même, qui provoque bien des fantasmes à l’extérieur et où, finalement, l’on peut trouver le pire comme le meilleur.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1111 ■ 27/06/2013