L’adolescence volée - Ghetto de Varsovie

Stanislaw TOMKIEWICZ, Calmann Lévy, 1999, 252 p.

Quiconque a eu l’occasion de croiser Stanislaw Tomkiewicz ne peut l’oublier. Si à chacune de ses interventions publiques,  il lui est difficile d’arrêter de parler, il est encore plus frustrant pour l’auditoire d’accepter qu’il se taise. Voilà l’occasion pour le lecteur de retrouver (ou de découvrir) le style inimitable de ce personnage attachant qui s’affirme comme l’un de précurseurs de la protection de l’enfance, à l’image de son maître et contemporain, Janus Korczak, qu’il a largement contribué à faire resurgir des oubliettes de la mémoire collective. Mais qu’est-ce qui motive donc ce grand Monsieur, depuis plus de quarante ans, à promouvoir les droits de l’enfant ? Pour répondre à cette question l’auteur nous plonge dans la fin de son enfance marquée par le ghetto de Varsovie et les camps de concentrations: « je travaille avec les adolescents parce qu’on m’a volé ma propre adolescence. » Seule la rencontre avec des personnalités adultes exceptionnelles lui permettront de survivre. La dette contractée à leur égard, c’est un peu comme s’il la réglait jour après jour en se consacrant aux enfants en souffrance. A la libération, il gagne la France et s’engage après une longue convalescence dans des études de psychiatrie. Déjà, les méthodes en vigueur le révulsent. Telle cette « thérapie » dite de la luxation : pour provoquer ou faire disparaître les convulsions d’une malade hystérique, on n’hésitait pas alors, à lui enfoncer les poings sur les globes oculaires puis sur les ovaires, en lui hurlant aux oreilles ! Il faudra attendre 1968 pour que cette « méthode » soit rejetée par l’ensemble du corps médical. Dans les années 50, Stanislaw Tomkiewicz pratique l’examen des nourrissons autistes en leur parlant gentiment. Il revendique la nécessité de parler aux enfants polyhandicapés exactement comme s’ils pouvaient comprendre. Il refuse l’avis pourtant autorisé de ceux qui prétendent que les enfants abandonnés seraient génétiquement pervers et déficients. En 1960, il s’engage dans l’expérience innovante du foyer de semi-liberté de Vitry. A la discipline militaire et à la répression s’opposent la franchise, l’humour, le respect de l’individu. C’est avec enthousiasme, qu’il prend sa place dans le mouvement de contestation de mai 1968 et plus particulièrement dans les combats visant à humaniser l’hôpital psychiatrique et à l’ouvrir sur la famille et le reste de la société. C’est dès cette époque qu’il se lance contre les violences institutionnelles. Toutes ces luttes peuvent apparaître au lecteur comme en cohérence avec l’air du temps. Sauf qu’elles se sont déroulées pour la plupart à une époque où ceux qui s’y engageaient pouvaient passer au mieux pour des utopistes naïfs, au pire pour de dangereux séditieux. Aujourd’hui, nous serons quelques uns, je pense à être fier d’essayer d’être les enfants de Stanislaw Tomkiewicz.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°489 ■ 03/06/1999