L’État démantelé. Enquête sur une révolution silencieuse

BONELLI Laurent, PELLETIER Willy et all, La Découverte, 2010, 313 p.

Un peu partout en Europe, il n’est question que de coupe sombre dans les budgets sociaux et de projet de limitation dans le remplacement des fonctionnaires. C’est le triomphe de ce néo-libéralisme né dans les années 1930 et adopté par une Communauté européenne qui multiplie les directives contre tout dirigisme d’un État, à qui elle ne reconnaît qu’un rôle de régulateur, exigeant qu’il soit avant tout garant de la libre concurrence. Les gouvernements de notre pays, qu’ils soient de gauche ou de droite, n’ont eu de cesse que d’ajuster notre législation, pour s’adapter à la logique du marché. La planification et l’économie concertée, héritages du Conseil National de la Résistance, ont été abandonnées. L’État, d’instrument de rationalisation est devenu un outil à rationaliser. Pour y arriver, il a suffi de remplacer les hauts fonctionnaires formés dans l’esprit de la défense du bien collectif, par une nouvelle génération de dirigeants diplômés des grandes écoles de commerce ou en provenance des grands groupes bancaires ou industriels. Les profits, les salaires mirobolants et autres primes exorbitantes, l’audace des grands capitaines d’industrie ont été réhabilités et l’État providence fustigé. Les services publics ont été invités à se rallier à une seule doxa : la culture managériale inspirée du monde de l’entreprise. On ne parle plus que d’efficacité, de rentabilité et de performance. Mais, comme on ne calibre pas les relations humaines, à la manière dont on le fait avec une production matérielle, des effets pervers n’ont pas tardé à se manifester. Face à l’injonction de compétitivité, les hôpitaux en viennent à ne soigner que les pathologies lucratives, car rapidement curables ; les universités à ne privilégier que les enseignements ne produisant que des résultats à court terme ; la justice à élaguer les procédures permettant l’écoute du justiciable, car trop chronophages ; la police à ne verbaliser que les infractions rapidement indentifiables. Les fonctionnaires se voient caporalisés. Sommation leur est faite d’avoir à respecter des critères quantitatifs fixés d’avance sur leur tableau de bord. Ils n’ont comme seul choix que de s’exécuter ou de donner leur démission ou encore de tomber malade. Le démantèlement des services publics que nous décrivent les 25 contributeurs de cet ouvrage collectif montre l’immense gâchis que recouvre la prétention de nos gouvernants à réformer l’État. L’argument de la lutte contre la gabegie frappant l’argent public n’est qu’un prétexte, quand on sait que l’économie réalisée par le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux représente le dixième de ce qu’aura coûté le rabaissement du taux de TVA, pour le secteur de la restauration. De quoi s’inquiéter, pour demain.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1018 ■ 12/05/2011