Les enfants des sectes

H.E. Mountacir, Fayard, 360 p., 1994.

 

L’actualité de la Noël 1995 a été marquée par un nouveau massacre perpétré par l’Ordre du Temple Solaire. La difficulté à laquelle on se heurte à propos des sectes, c’est bien une question de définition: où commence et où s’arrête le phénomène sectaire ? Les croyances dominantes (juive, chrétienne, musulmane, ...) n’ont-elles pas été à leur origine des sectes qui ont fini par s’imposer ? Au sein des religions officielles, foisonnent des groupuscules intégristes qui ont peu à envier aux pratiques qui font la une des média: croire sans se poser de questions, ne jamais chercher à vérifier, refuser l’altérité. Alors entre les 300 églises et les 10.000 sectes que compte le monde, comment s’y retrouver ? Une chose est sûre, toute foi religieuse porte en elle la tentation totalitaire. Rares sont celles qui n’ont pas exercé à un moment ou à un autre de l’histoire les pires atrocités pour s’imposer (tant à l’égard de leurs membres que du reste de la société). Hayat El Mountacir est chargée d’étude à l’UNADFI (Union Nationale des Associations de Défense des Familles et des Individus). Elle a fait paraître une étude précise, détaillée et fort bien documentée qui apporte un éclairage judicieux sur cette question.

 

La première caractéristique qui traverse ces sectes, c’est la critique de la société dans laquelle nous vivons. S’appuyant sur l’urbanisation envahissante, la violence, la crise économique, la misère et la guerre, elles y opposent un idéal de sagesse et de bonheur absolu. Ainsi, la « Nouvelle Acropole » qui prône ’’la pureté par l’écologie’’. Mais il est très courant qu’elles développent un sentiment d’appartenance à une communauté prédestinée. La Fraternité Blanche Universelle préconise de ’’créer des être forts seuls capables de sauver l’humanité’’. Les Raëliens expliquent à leurs adeptes: ’’en cas de cataclysme détruisant l’humanité, seuls les gens qui vous suivront seront sauvés et repeupleront la terre dévastée’’. Les Scientologues, eux, promettent de faire atteindre la perfection humaine à tous ceux qui suivent leurs préceptes. Quant aux Témoins de Jéhova, ils sont convaincus de constituer le peuple élu qui sera sauvé lors de l’Harmaguédon, bataille finale de Dieu sensée ramener le paradis sur terre.

Deuxième dominante de la secte: la disparition de l’individu et de sa famille au profit de la vie du groupe. Il n’y a plus de vie personnelle puisque la partie est complètement subordonnée au tout et le disciple au collectif. Ainsi, encore la Nouvelle Acropole qui déclaré être « notre famille spirituelle. Nos père et mère sont l’Acropole ». Moïse David, fondateur de Enfants de Dieu (rebaptisés récemment La Famille), se considère comme le père de tous ses adeptes (les femmes étant virtuellement toutes mariées avec lui !). Les Moonistes organisent des séances de mariage collectif, le choix des conjoints étant du ressort du gourou. Des couples stériles se sont vus attribuer sur ordre de la secte le cinquième ou sixième enfant de parents eux aussi adeptes du Révérend Moon. Cette loyauté s’accompagne souvent d’une coupure plus ou moins systématique avec le monde extérieur considéré comme corrupteur et source d’impureté. C’est cette relation presque exclusive avec les seuls membres de la secte qui en rend d’autant plus difficile la sortie.

Troisième dominante, l’infantilisation et le fanatisme qui supplantent toute pensée autonome: la secte prévoit les questions et donne les réponses. Elle apporte une vision globale et totalitaire. La diversité est pourchassée comme une perversion, la divergence comme une trahison. Chez les Témoins de Jéhova, toute action contraire à la doctrine d’un adepte fait l’objet d’un examen méticuleux pour « évaluer les preuves et l’étendue de sa déficience mentale ». Au besoin, certains groupes auront recours à toutes sortes de procédés pour maintenir l’état de dépendance: affaiblissement par manque de sommeil ou rétention d’urine, techniques psychothérapiques détournées de leur fonction initiale.

On ne peut s’empêcher d’être stupéfait par la grossièreté et le profond ridicule de certaines élucubrations de ces groupes. Le mouvement Raëlien prétend vouloir construire une ambassade pour accueillir les extra-terrestres. Shri Mataji, fondatrice du Sahaja Yoga garantit le bonheur à ses adeptes à condition que ceux-ci méditent chaque jour devant sa photo avec une bougie allumée. Quant aux témoins de Jéhovah, ils programment régulièrement la fin du monde (dates déjà programmées: 1914, 1918, 1925, 1975 et 1986), mais la funeste prévision s’entête à ne pas survenir ... Tout cela prêterait à rire s’il n’y avait pas là matière à briser des vies. On mesure toute la fragilité psychologique et la détresse de celles et ceux qui se laissent ainsi abuser.

Mais au moins sont-il adultes pourrait-on dire. Il en va tout autrement des enfants qui subissent l’influence malfaisante de ces groupes. Dans les écoles à la dévotion de Krishna, c’est dès 3h30 du matin que les gamins sont levés pour quatre heures d’incantations et de lecture du Bhagavatam. Nombre de sectes ont codifié l’art et la manière de battre les enfants. Biensûr, c’est pour leur bien, pour sortir le démon qui est en eux. « Si vous attendez que les enfants soient capables de raisonner pour commencer à les châtier, vous aurez attendu trop longtemps. Même les bébés ont une nature déchue et ont besoin d’être châtiés » conseille Charles Wisema, chef de la Communauté aux USA. Raël se dit lui aussi favorable aux châtiments corporels jusqu’à 7 ans. Le refus de la transfusion sanguine par les Témoins de Jéhova s’identifie à la non-assistance à personne en danger. Mais là où la perte des repères et des rôles respectifs entre adultes et enfants est le plus prégnant, c’est au travers de la conception très particulière que certaines sectes ont de la sexualité. Le mouvement Raëlien se prononce pour la suppression des « lois faisant automatiquement un détournement de mineurs d’un rapport sexuel entre un individu de plus de 18 ans et un individu de moins de 18 ans » et de conseiller aux parents une éducation sexuelle de leurs enfants qui ne se contente pas d’une « approche théorique froide » ! Moïse David, créateur de Enfants de Dieu explique aux parents:  « Il n’y a rien de mauvais au monde, quant au sexe, tant qu’il est pratiqué avec amour, de quelque manière que ce soit, pas question de qui, ni de quel âge ou de quelle parenté, ni de quelle façon » et de donner des conseils là aussi sans aucune équivoque aux pères et aux mères dans leurs relations sexuelles avec leurs enfants... en Juin 1993, un couple membre de la secte a été incarcéré à la maison d’arrêt de Grasse pour viol aggravé sur mineurs de moins de 15 ans. Le père pensait que les rapports incestueux qu’il entretenait avec ses filles étaient normaux !

La secte se situe à l’opposé de ce qui fait l’essence de l’humanité démocratique: esprit critique, libre conscience et libre choix. C’est en tant que tel qu’elle doit être combattue.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°335 ■ 11/01/1996