Dieu face à la science

Claude ALLEGRE, Fayard, 1997, 320 p.

Claude Allègre nous propose ici un récit historique et une réflexion des plus pertinentes sur un sujet qui sent le soufre. Rassurons tout d’abord le lecteur qui s’attend à un brûlot anticlérical primaire. L’auteur fait d’abord tomber un mythe : celui d’un Galilée que la postérité s’est entêté à présenter comme un génie isolé, victime d’une religion obscurantiste. Admiré et honoré par ses contemporains et soutenu longtemps par son ami le Pape ainsi que les Jésuites, cet éminent savant doit une grande partie de ses ennuis à son arrogance et à son imprudence. Ce qui pour autant, ne dédouane pas une Eglise Catholique qui finit par le réduire au silence et à la réclusion. Son prédécesseur, Giordano Bruno, fut, quant à lui, brûlé vif en 1600 par l’inquisition pour avoir osé affirmer que le monde était infini. C’est qu’il a fallu aux religions du Livre bien des efforts pour tenter en vain de s’opposer aux avancées scientifiques. Lorsque la géologie naissante se scinde en deux théories : neptunienne (rôle prédominant de la mer dans la formation des reliefs) ou plutonienne (effet essentiel du magma, du volcanisme et de l’érosion), c’est la première qui est défendue avec acharnement par l’église anglicane … parce qu’elle correspond au mythe du déluge ! Quand les savants ont commencé à s’intéresser à l’âge de notre planète,  l’Eglise Catholique a su rappeler qu’elle avait déjà répondu à cette question : l’archevêque Uscher avait calculé au XVI ème siècle que la terre datait de l’an 4004 avant Jésus Christ, très exactement du 26 octobre à 9h00. Aux dernières nouvelles, Jean-Paul II s’apprêterait à concéder qu’en fait, l’heureux événement aurait pu avoir lieu à 9h30. On passera sur la décision du colloque de Cologne en 1860 décidant de l’excommunication de Darwin… Et pourtant, c’est  dans l’environnement où elle a été la plus persécutée que la science s’est le mieux épanouie. Ce paradoxe s’explique par la volonté d’exégèse et d’approfondissement de la Bible qui s’est fait jour à compter du XIVème siècle. Ce sont des dizaines d’universités qui ouvrent à travers toute l’Europe. Mais on ne sollicite pas ainsi la réflexion et la recherche sans susciter à un moment ou à un autre la critique. En outre, la multiplication des différentes églises se disputant autour des mêmes textes profitèrent aux sciences. Ainsi de l’héliocentrisme qui fut d’autant plus vite adopté par le protestantisme qu’il fut brutalement rejeté par le catholicisme. Mais il ne faut pas croire que Claude Allègre fait une fixation sur les religions de la Bible. Passant en revue les autres croyances (dont notamment un bouddhisme très à la mode en Europe), il constate la même opposition à la science. Rien d’étonnant quand on sait que là où cette dernière propose un scénario partiel et provisoire, la foi assène une vérité absolue, globale, immanente, éternelle et complète. La science exclut Dieu de son champ de raisonnement et ne peut ni démontrer, ni infirmer son existence. Laissant le choix à chacun de croire ou de ne pas croire, elle continue avec sa raison d’être : construire une représentation objectivable et vérifiable du monde.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°424  ■ 08/01/1998

GAVROCHE  ■ n°97 ■ janvier-février 1998