Histoire de l’athéisme

Georges MINOIS, Fayard, 1998, 671 p.

La religion n’attire plus grand monde dans les églises, mais elle continue à bien se vendre. Parler de l’incroyance relève toujours quelque peu de la provocation et sent encore l’odeur du bûcher. Georges Minois, historien prolixe, y a consacré une longue étude, faisant là oeuvre d’innovateur tant le domaine historiographique dans ce domaine est pauvre.

L’athéisme apparaît en même temps que la religion, sans qu’il y ait de progression chronologique entre un état religieux originel et une évolution vers une rationalisation intégrale. Quelle que soit la croyance en vigueur, il y a toujours  eu place pour le scepticisme ou le doute spéculatif. Toutefois, l’étude de l’incroyance pose un problème de fond : « sans cultes, sans rites, sans temples, sans textes liturgiques ou dogmatiques, quelles traces l’athée ordinaire laisserait-il de son absence de foi religieuse ? Bien souvent, son existence n’est attestée que par ses adversaires, les croyants, qui le maudissent » (p.36) Si l’ancien testament fait état d’individus déclarant ne pas craindre Dieu, c’est en Grèce antique que naît l’athéisme. Ainsi, Héraclite (540-480 avant J.C.), pour qui « le monde n’a été fait ni par un des Dieux, ni par un des hommes ; il a toujours été, il est et il sera ; c’est le feu toujours vivant qui s’allume régulièrement et qui s’éteint régulièrement. » (p.40) Le sage Platon s’oppose à de telles convictions, en accusant les incroyants d’immoralité et en préconisant l’instauration d’une religion officielle, l’interdiction de tout autre culte et l’emprisonnement à vie des sceptiques qui oseraient s’affirmer tel publiquement ! C’est la religion chrétienne qui va réaliser son rêve. Offrant à l’empire Romain le moyen de soumission et d’unification dont celui-ci a besoin, elle va se développer sous son aile protectrice et s’imposer en éliminant implacablement toute croyance concurrente ou divergente. Pendant près de mille ans, les esprits sceptiques sont réduits au silence du fait d’une répression implacable. Seule la mobilisation de la philosophie scolastique et de la théologie spéculative qui s’échinent à démontrer l’existence de Dieu, permet d’évoquer la persistance d’esprits qui continuent de douter.

L’édifice clérical se fissure dès le début du XIV ème siècle. L’incroyance fleurit jusque dans les cours des rois. Mais elle s’étend aussi à la noblesse de robe, aux juristes et à la bourgeoisie affairiste montante. Sans oublier les milieux populaires où l’on constate un net recul de la pratique religieuse.

La déliquescence de la croyance s’accentue au XVI ème siècle avec les guerres de religion qui ruinent la foi et provoquent la montée de la sorcellerie et de l’astrologie. Des écrits fleurissent tel le mythique « De tribus impostoribus » (1538-1540) qui développe un point de vue  radical : toutes les religions sont l’invention des puissants qui profitent de l’ignorance des humbles. Les condamnations au bûcher fleurissent. Les traités de réfutation de l’incroyance se multiplient. Mais la théologie s’essouffle à défendre des positions immobilistes et à refuser toute nouveauté. Le cardinal Bellarmin charge en 1623 Virginio Cesarini d’écrire un traité sur l’immortalité de l’âme. Celui-ci se convertira à l’atomisme ! Rien n’y fait : la Bible commence à être disséquée par des érudits qui confrontent le texte sacré aux principes de la critique historique. Elle apparaît n’avoir pas plus de valeur que les fables antiques. En 1729 meurt l’abbé Meslier. Après 40 ans de fidèle sacerdoce, il laisse un testament où il accuse l’Eglise de soutenir la tyrannie et l’injustice sociale : « rejetez donc entièrement toutes ces vaines et superstitieuses pratiques de religion ; bannissez de vos esprits cette folle et aveugle créances de ses faux mystères ; n’y ajoutez aucune foi, moquez-vous de tout ce que vos prêtres intéressés vous en disent. Ils n’en croient rien eux-mêmes, la plupart d’eux.  (…) Comment a-t-on pu persuader à des hommes raisonnables et judicieux des choses si étranges et si absurdes ? » Le brûlot est recopié et diffusé à travers toute l’Europe. Avec la philosophie des lumières (d’Holbach D’Alembert, Hélvetius …) l’athéisme atteint son stade adulte : il possède une philosophie (le matérialisme), une science (le mécanisme), et une morale (la loi de la nature).

Le rapport de force entre croyance et incroyance s’inverse avec la Révolution de 1789. On ne se contente plus de ne plus croire, on s’en prend aux ministères du culte. Des siècles de tromperie et de féroce répression engendrent une haine farouche. Le mouvement de déchristiannisation et d’anti-cléricalisme trouve parmi ses partisans les plus acharnés d’anciens prélats. Confrontée à la plus grande crise de son histoire l’Eglise se transforme en citadelle assiégée et défie la culture ambiante : la phobie de la nouveauté y devient une obsession. Fière de son superbe isolement, elle n’a en fait gardé de sa grande époque qu’une arrogance dérisoire. Mais qui se soucie désormais des anathèmes de quelques vieillards mitrés ?

Au XIX ème siècle, Nietzsche proclame la mort de Dieu, ce à quoi les plus acharné rétorquent que Dieu n’a pas pu mourir, du fait même qu’il n’a jamais existé.

La progression de l’incroyance sous toutes ses formes est régulière : à la fin, du second millénaire, on compte à travers le monde 1.071 d’agnostiques et 262 millions d’athées (contre respectivement 2,9 millions et 0,22 millions en 1900). Le groupe des sceptiques devance donc celui des musulmans (1200 millions) et celui des chrétiens (1.132 millions). 

Un sondage réalisé auprès des jeunes montrent cette évolution : en 1967, 17% d’entre eux s’affirmaient incroyants. En 1977, ils sont 30% et en 1997 51%.

L’athéisme militant subit la même érosion que les grandes religions. Il est vrai que n’ayant rien à revendiquer d’autre que l’éthique basée sur l’homme, les millions d’athées ne voient pas l’intérêt de se regrouper autour de leur seule non-croyance.

En réalité, la question de l’existence de Dieu, sans être résolue, est devenue secondaire. L’opposition entre croyants et incroyants semble en voie de dépassement. Les frontières mêmes qui permettent de les distinguer s’estompent : « on passe désormais de l’athée pur au croyant intégriste par une infinité de nuances qui rendent un peu vaine ces classifications » (p.561). 

 

Jacques Trémintin – Septembre 1999 - Gavroche