Ecoliers, vos papiers

Anne GINTZBURGER avec le Réseau Education Sans Frontières, Flammarion, 2006, 272 p.

Le lecteur qui lira ces pages ne pourra qu’éprouver successivement de la honte et de la fierté. Honte tout d’abord d’appartenir à une nation qui se proclame depuis longtemps patrie des droits de l’homme et qui traite avec une incroyable inhumanité une poignée de gosses dont le seul tort est d’avoir vu leur famille massacrée ou d’avoir voulu fuir la misère. Mais fier aussi d’appartenir à une nation où un certain nombre de citoyens n’accepte pas ce traitement brutal et ignoble de la part d’une administration qui n’a manifestement tiré aucune leçon de la période de Vichy. Les préfectures sont pleines de petits Papon qui exécutent les ordres d’un ministre de l’intérieur exigeant en 2006 l’augmentation de 50% du nombre d’éloignements effectifs d’étrangers en situation irrégulière, par rapport à l’année précédente. Et qui n’hésitent pas à faire intervenir les forces de police en pleine classe pour venir cueillir de dangereux malfaiteurs de 14 ou 15 ans pour les rapatrier manu militari dans des pays qu’ils n’ont parfois jamais connus. Des pratiques aussi choquantes n’ont pas laissé indifférents des enseignants, des parents d’élèves, des élèves, des élus qui ont décidé de se mobiliser pour s’opposer et organiser la résistance. Les collectifs de citoyens n’ont jamais été si nombreux autour d’une cause qui met au jour d’incroyables histoires et des sommes d’injustices et qui se battent pour protéger leurs élèves, leurs voisins, leurs camarades sur qui pèse chaque jour la menace de l’expulsion. Leur action n’est pas sans conséquences puisque la loi punit de cinq années d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende toute personne qui vient en aide à un étranger en situation irrégulière ! Mais, comment assister passivement à la fugue de Rachel, 15 ans et Jonathan 14 ans, qui ont échappé de justesse à une police qui avait convoqué leur mère pour lui signifier son expulsion vers un Congo d’où ils ont fui pour échapper aux agressions des militaires ? Comment ne pas réagir face à Kristina enfermée en centre de rétention avec ses parents qui ont fui la Russie après que son père ait déserté l’armée qui sévit en Tchétchénie ? Comment rester indifférent au sort de Claudio et Rocco, enfants originaires d’Albanie, qui sont tombés dans les griffes de la mafia et qui ne durent leur survie qu’à un invraisemblable enchaînement de circonstances ? On cite facilement le propos de Michel Rocard, alors premier ministre : « la France ne peut  accueillir toute la misère du monde. » On oublie trop facilement la phrase qui suivait : « Mais elle doit en prendre sa part. » Si l’ouverture de toutes les frontières semble difficilement imaginable, le traitement actuel de la question des réfugiés où le cruel le dispute au barbare n’est pas plus acceptable. L’appel à la désobéissance civile lancé par les Réseaux Education Sans Frontières est courageux et citoyen. Tous ceux que l’iniquité révolte ne peuvent que les soutenir.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°801 ■ 15/06/2006